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le diplomate saxon considéra M. de Bismarck comme un fléau, et il le ménageait peu dans ses entretiens. Aujourd’hui, il est absolument consolé : « Tout patriote allemand, nous dit-il dans sa préface, ne peut que se réjouir du fond de l’âme de ce qu’on est parvenu à rétablir l’unité de l’Allemagne, sa puissance et sa grandeur sur de solides fondemens. Allemands et Autrichiens sont tenus de rendre les plus sincères actions de grâces à l’homme de génie qui dirige depuis vingt-cinq ans les destinées de notre patrie. Le prince de Bismarck a fait de l’Allemagne le bouclier de la paix de l’Europe, et il a couronné sa création par l’alliance qui unit l’Allemagne à l’Autriche et qui est l’honneur et le salut des deux empires. » Peu s’en faut qu’il n’accuse cet homme de génie d’avoir usé trop modérément de sa victoire, trop ménagé les confédérés de la Prusse, leurs droits de souveraineté et ce qui peut leur rester de prestige. Il lui reproche de n’avoir pas créé une chambre haute, composée de rois et de grands-ducs siégeant en personne ou votant par procuration. Le chancelier de l’empire a plus de respect et d’égards pour les petites couronnes que l’ancien envoyé du roi Jean. Il a déclaré un jour qu’il considérait trop un roi de Saxe pour vouloir le réduire à la condition de simple pair.

On ne peut passer condamnation de meilleure grâce, et jamais homme ne fut plus heureux que M. Vitzthum d’avoir été battu. On aurait tort de dire un mot qui pût troubler son bonheur. Mais pourquoi, en 1866, l’empereur Napoléon III a-t-il voulu empêcher la Prusse de s’annexer la Saxe ou de lui imposer des conditions trop dures ? De l’aveu même de M. de Bismarck, il s’est attiré par sa chevaleresque intercession l’âpre malveillance et les rancunes du vainqueur. M. Robert se trouva mal d’avoir pensé qu’il n’y a que les coquins qui battent leur femme et de s’être mis en tête de protéger Martine contre Sganarelle et son bâton. « De quoi vous mêlez-vous ? lui dit-elle. Est-ce là votre affaire ? Qu’avez-vous à voir là-dedans ? Voyez un peu cet impertinent qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes ! Et si je veux, moi, qu’il me batte ! Et s’il me plaît d’être battue ! » La politique de M. Robert est précisément cette politique romanesque qui nous a été si pernicieuse. La France a cru plus d’une fois qu’il était de son devoir d’empêcher les maris de battre leur femme. Que lui en est-il revenu ? Des déconvenues, des mécomptes, des inquiétudes, des chagrins. Un Français assez aveugle pour n’être pas dégoûté à jamais du romantisme mérite qu’on le condamne à lire d’un bout à l’autre, sans sauter une ligne, les instructifs, mais prolixes mémoires du comte Vitzthum.


G. VALBERT.