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surtout, — voilà de beaucoup la plus volumineuse, comme aussi la plus importante, celle qu’il faut ne pas se lasser de lire et de relire, si l’on veut savoir et mesurer la nature, la grandeur, et la direction de l’action que Voltaire a exercée sur son siècle. La tâche en est au surplus beaucoup moins fatigante, et plus profitable aussi qu’on ne le croit. Si Voltaire est en effet souvent superficiel, il ne l’est pas au moins faute devoir ou de comprendre ; et, sans jamais l’affecter, il a souvent atteint, par la seule et merveilleuse agilité de sa compréhension, la véritable profondeur. En proposant, d’ailleurs, pour les problèmes que nous agitons encore entre nous, des solutions trop simples, et par cela même, si l’on peut ainsi dire, éminemment contestables, il n’en a pas moins fait le tour des idées. Et puis, et enfin, voltairiens que nous sommes sans le savoir ou même en voulant ne pas l’être, c’est là que nous avons nos origines ; et l’on est étonné, pour peu qu’on les lise avec quelque attention, de tout ce qu’il y a dans le Dictionnaire philosophique, par exemple, — moins encore que cela, dans une simple facétie, comme la Conversation d’un Intendant des Menus avec l’abbé Grizel, ou comme l’Histoire d’un bon Bramin, — de choses que nous croyons avoir inventées ou trouvées depuis hier.

Conformément à cette division, M. George Bengesco nous a donc donné, dans son premier volume, la Bibliographie des œuvres dramatiques, poétiques, et historiques de Voltaire. Il a consacré le second aux Mélanges. Enfin, dans le troisième, qui vient de paraître, il s’occupe uniquement de la Correspondance. Le quatrième et dernier contiendra la description des collections d’Œuvres complètes, et l’examen des nombreux écrits plus ou moins faussement attribués à Voltaire. Mais nous nous reprocherions d’attendre pour parler de l’ouvrage qu’il soit entièrement terminé, puisque aussi bien nous n’avons pas attendu jusque-là pour nous en servir ; et, parmi les questions qu’il décide, nous avons choisi deux où l’on verra clairement, je crois, le genre d’intérêt qu’il y avait à l’écrire.

La première est relative à l’influence que plus de trois années de séjour en Angleterre auraient exercée sur la formation ou le développement des idées de Voltaire. Si l’on en croyait effectivement la plupart des biographes, les Allemands, les Anglais surtout, M. John Churton Collins, par exemple, dans son Voltaire en Angleterre (1886), ou JM. Edouard Herz dans son Voltaire et la procédure criminelle au XVIIIe siècle (1887), — pour ne parler que des plus récens, — — c’est à Bacon et à Locke, c’est à Newton et à Clarke, c’est à Collins, à Toland, à Woolston que Voltaire devrait les principes au moins de sa philosophie, de sa science, de sa théologie surtout ; et son œuvre polémique, sous une forme assurément française, — aussi française qu’il y en ait au monde, — on veut bien l’accorder, serait cependant, dans son fond, tout anglaise. Aux environs de 1726, nous aurions donc député