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cette résolution ; puis, lorsqu’elle fut bien prise, on le dissuada de la suivre, et il goûta ce conseil. Comme d’ailleurs le scandale n’avait pas éclaté publiquement, et qu’il était de « bonne race, » on lui ramena sa petite marquise, et, tous les deux, renonçant à leurs anciens préjugés, ils consentirent au mariage de leur sœur avec son médecin. Était-ce bien la peine d’y résister si longtemps ? Moralité : Quand vous voudrez marier votre fille avec un fils naturel, précautionnez-vous d’une femme qui vous en ait donné un adultérin.

Qui donc a raconté — ne serait-ce pas M. Jean Aicard lui-même — qu’à la Comédie française on lui avait conseillé de mettre cette fable en prose ? Conseil perfide, ironique peut-être, et qu’en tout cas M. Jean Aicard a bien fait de ne pas suivre : son Père Lebonnard y eût péri tout entier. Non que j’en aime les vers, et j’ai eu soin de le dire d’abord : ce sont ce qu’on appelle des vers d’improvisateur, — comme tous les vers de M. Jean Aicard, d’ailleurs, — et moins lyriques, moins chantans, moins sonores seulement, une prose rimée, qui n’a ni la splendeur du vers, ni la vulgaire probité de la prose. Aussi bien est-ce là le danger que courent tous ceux qui tentent aujourd’hui d’exprimer en vers les détails de la vie commune : l’alexandrin est ainsi fait qu’il leur faut, pour le remplir, y admettre, je ne dis pas des vulgarités, je dis des platitudes que l’on a bannies de la prose.


Je veux du bœuf saignant et des œufs à la coque.


Mais, débarrassé de cette phraséologie, et réduit à ce qu’il a d’essentiel, le Père Lebonnard eût apparu à son auteur comme plus vide encore qu’invraisemblable. Où en est l’intérêt ? A quoi ou à qui, dans ces quatre actes, M. Jean Aicard a-t-il prétendu que nous nous attachions ? L’analyse de la pièce, où je ne crois pas avoir omis aucun détail de quelque importance, — je n’en ai négligé que les plus malencontreux, — a répondu suffisamment pour lui.

On peut juger en même temps si elle valait tout le bruit qu’on a fait autour d’elle, et que je ne déplore, en vérité, pour personne plus que pour M. Aicard. Nous et le public, le public et nous, il nous a plutôt amusés. Mais, non content d’avoir crayonné cette espèce de prologue où les acteurs du Théâtre libre nous ont régalé de la caricature de M. Got et de celle de M. Claretie, M. Jean Aicard, dès le lendemain même de la représentation du Père Lebonnard, nous a livré toute sa correspondance, à nous, ou, pour mieux dire, à M. Rodolphe Darzens, qui s’est empressé de la publier dans le premier numéro du Théâtre libre illustré. Et, on pensera d’abord que c’est avoir la rancune un peu bien tenace, mais, après lecture, on trouvera que c’est l’avoir plus maladroite encore. Je ne veux pas entrer à ce propos