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me mêle : mais j’aime le roi et son royaume, et quoique je ne dusse demander que plaie et bosse, la vérité m’étrangle toujours[1]. »

A dire vrai, si jamais la tentative, — si souvent rêvée par les politiques français, sans qu’ils aient jamais même mis la main à l’exécution, — et dont nos voisins ont pourtant toujours peur, — eut une chance de succès, c’était bien quand un secours militaire était attendu par une insurrection victorieuse, en possession de plusieurs ports de mer. Seulement à la fin de décembre, époque où tout put être prêt pour le passage, il était déjà un peu tard pour se mettre en mer, la mauvaise saison rendant la traversée de la Manche difficile, et la même cause venant d’interrompre momentanément le cours, jusque-là aussi rapide que brillant, des succès de Charles-Edouard. Après une pointe très heureusement poussée au cœur même de l’Angleterre, jusqu’à Derby et Manchester, le hardi guerrier devait rétrograder et regagner l’Ecosse ; il n’osait pas laisser venir l’hiver au milieu de populations hostiles, qui ne lui fournissaient rien pour sa subsistance, et craignait d’attendre, sur ce terrain ingrat, l’arrivée des forces supérieures que le duc de Cumberland ramenait de Flandre. Cette retraite volontaire n’était pas une défaite matérielle, mais c’était bien déjà un échec moral, dont l’effet fut sensible par la perte de plusieurs des points importans qu’on croyait acquis à l’insurrection, entre, autres le port de Montrose, le lieu le plus naturellement désigné pour le débarquement d’une troupe envahissante.

La célérité, qui était une des conditions du succès, avait donc déjà manqué à l’expédition dont Richelieu allait prendre le commandement : le secret, qui n’eût pas été moins important, fit également défaut. Richelieu, fidèle aux habitudes de vanterie et d’ostentation qui lui étaient familières, donna beaucoup d’éclat à ses préparatifs : un nombreux état-major qu’il attacha à sa personne fit sonner très haut les succès qu’il ne pouvait manquer d’obtenir, on annonça d’avance que le chef ne tarderait pas à rapporter d’Angleterre son bâton de maréchal. — « Nos jeunes officiers qui en étaient, dit d’Argenson, prenaient congé en uniforme à la cour et à la ville comme quand ils partent en avril pour la campagne de Flandre. » De plus, pour assurer les moyens de transport, on dut réquisitionner presque tous les bâtimens marchands des ports de la

  1. Le maréchal de Saxe au maréchal de Noailles ; Gand, 25 décembre 1745. (Papiers de Mouchy.) — Cette lettre, comme la plupart de celles du maréchal de Saxe que j’aurai à citer dans la suite de ce travail, est tirée de la magnifique collection des papiers de Noailles, possédée par M. le duc de Mouchy, et dont il a bien voulu me laisser prendre connaissance avec une extrême obligeance. Cette collection a été classée, mise en ordre et cataloguée avec le soin le plus intelligent.