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pays et qui avoisinent la ville de Bruxelles ce qui, par un usage établi, pourrait engager votre Excellence à mettre le feu aux faubourgs de cette belle ville, et que je voudrais lui épargner cette perte et ce dommage, j’ai cru que votre Excellence ne désapprouverait pas la liberté que je prends de lui en écrire, pour l’engager à conserver un si bel ornement à la ville de Bruxelles. La destruction des faubourgs d’Ypres et de Tournay n’en ont pas rendu la prise plus difficile, et ; c’est une erreur de croire que ces bâtimens au-delà des glacis puissent être de quelque avantage aux assiégeans. Ils ne peuvent servir à une place qu’en cas de surprise contre laquelle il y a d’autres moyens de se garantir. Votre Excellence ne doit pas soupçonner cette lettre d’artifice, si elle veut se souvenir de ce que j’ai fait pratiquer moi-même à Lille dans l’avant-dernière campagne : l’armée combinée était campée dans la plaine de Cissoing ; mon premier soin fut de défendre à l’officier-général qui commandait à Lille, d’en brûler les faubourgs, et, assurément, je n’aurais pas pris sur moi une telle démarche, si contraire à l’usage, si je n’avais cru pouvoir en prouver l’abus[1]. »

Je ne sais si, pour se promettre quelque effet d’une telle pièce, Maurice avait compté sur l’étonnement qu’elle causerait : en ce cas, son calcul ne fut pas trompé. Kaunitz, tout étourdi de la menace imprévue dont il venait d’apprendre la nouvelle, et de la communication plus inattendue encore qui en était la suite, convoqua sur le champ son conseil de guerre. Kaunitz, d’ailleurs, aussi médiocre militaire qu’il devait se montrer plus tard habile politique, n’avait nulle confiance (M. d’Arneth nous l’apprend) ni dans ses propres talens, ni dans la force de résistance des troupes qu’il commandait. Dès le commencement de l’hiver, il avait averti l’impératrice que, si les Français faisaient une attaque sérieuse, avant, que de puissans renforts lui fussent envoyés, tous les Pays-Bas seraient emportés en quinze jours. Aussi ne trouva-t-il rien de mieux à proposer à son conseil que de mettre à l’abri la garnison en évacuant sur-le-champ la ville, au lieu de compromettre par une défense impuissante cette dernière ressource de la province abandonnée[2].

Pendant qu’on discutait cette étrange proposition, la brigade de Normandie vivement poussée en avant, arrivait en vue de la ville,

  1. Le maréchal de Saxe au comte de Kaunitz, 28 janvier 1746. — Correspondance, p. 48. — Saint-René Taillandier, p. 284. — Cet écrivain, en citant la lettre, y voit une preuve du bon sens et de l’humanité, qui sont les traits de caractère de Maurice. — D’Espagnac convient cependant (t. II, p. 131) que Maurice avait compté sur les faubourgs de Bruxelles pour loger ses troupes et que la résolution d’y mettre le feu l’aurait jeté dans un grand embarras. — Le biographe allemand, Weber, prête à Maurice l’intention de faire croire à Kaunitz qu’il n’avait pas l’intention de faire le siège de Bruxelles. Ce moyen de détourner les soupçons eût été singulièrement choisi.
  2. D’Arneth, t. VII, p. 213 ; 455.