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au parterre, en criant : « vive M. le maréchal de Saxe ! » Il salua très poliment le public… Ce n’est pas tout : dans le prologue d’Armide, qui était fait en l’honneur de Louis XIV, la gloire paraît tenant une couronne de lauriers à la main et chante ces paroles :


Tout doit céder dans l’univers
A l’auguste héros que j’aime.


Ce qui est suivi d’un grand chœur de danse des suivans de la gloire. A la fin du prologue, l’actrice qui faisait la gloire s’avança sur le bord du théâtre, et présenta la couronne à M. le maréchal de Saxe, qui fut surpris et qui la refusa avec de grandes révérences ; mais la Gloire insista en lui disant quelque chose de gracieux, et comme le maréchal était trop éloigné dans le balcon pour qu’elle pût lui mettre dans la main, le duc de Biron prit la couronne de la main de la gloire et la passa au bras gauche de M. le maréchal de Saxe. Cette action d’éclat donna lieu à de nouvelles acclamations : vive M. le maréchal de Saxe, à de grands battemens de main et à un bruit général de l’Opéra… Il faut convenir qu’un honneur aussi éclatant vaut un triomphe des Romains. M. le maréchal de Saxe se trouve ainsi couronné par la gloire même, personnifiée, dans un spectacle public et dans la plus belle assemblée de l’Europe, avec l’applaudissement et l’approbation de tout le spectacle. On ne peut rien de plus flatteur. On a été persuadé aussi que cela ne s’est pas fait sans l’agrément et la permission du souverain[1]. » — Ce dernier point n’est pas l’avis du duc de Luynes, écho plus fidèle des impressions et des conversations de Versailles, qui, après avoir raconté la même scène, conclut en disant : « M. de Saxe n’a pas été généralement approuvé d’avoir accepté cette couronne. » A quoi il ajoute, non sans quoique malice, que la gloire aussi (personnifiée par Mme Demetz) y avait trouvé son compte par l’envoi d’une paire de boucles d’oreilles en diamans d’une valeur de 10,000 livres, dont le maréchal lui fit don le lendemain[2].

Faut-il s’étonner qu’au récit de pareilles scènes, un des cliens de Maurice crût pouvoir, sans paraître trop familier, lui en faire, dans une lettre presque officielle, son compliment. — « Monseigneur, lui écrivait le chargé d’affaires qui venait de remplacer à Dresde le marquis de Vaulgrenant, vous avez toujours été un héros qui a eu son essor au-dessus des autres. Jouissez longtemps du privilège d’être adoré par une moitié du monde, et regardé par l’autre comme le plus grand homme du siècle. »

  1. Barbier : Journal, mars 1746. — Luynes, t. VII, p. 250 à 257.
  2. Barbier : Journal, mars 1746. — Luynes, t. VII, p. 250 à 257.