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d’armes défensives. Mais ce sacrifice même serait inutile, car il est difficile d’admettre qu’on ait jamais recours aux régimens de cuirassiers pour accomplir l’exploration, pour garder les cantonnemens. Confier de pareilles missions à la cavalerie lourde, alors que les divisions comprennent quatre régimens de cavalerie légère ou de dragons, serait méconnaître le rôle spécial et le caractère de cette arme. Son rôle, — le mot cavalerie de réserve l’indique, — c’est d’intervenir, masse compacte et irréfragable, pour briser les suprêmes résistances. Ce sera toujours le marteau terrible qui frappera le coup décisif. Tel, au milieu d’une flotte, le vaisseau cuirassé s’avance imposant et superbe, éclairé par des croiseurs légers et rapides, protégé par d’invisibles torpilleurs.

Il importe donc peu que la cuirasse soit aujourd’hui à l’épreuve de la balle ; elle est à l’épreuve du sabre ou de la lance ; cela suffit. Pourtant l’Allemagne a invoqué ce prétexte pour la supprimer. Est-on bien certain que cette mesure soit définitive ? La cuirasse, en effet, a été déposée dans les magasins d’escadrons. Au pied du lot de ses effets de guerre, chaque cavalier conserve la sienne, soigneusement entretenue. Et comme il doit la prendre pour la tenue de parade, il est encore exercé à la porter. Entre temps, on a expérimenté dans les usines allemandes des cuirasses d’un modèle nouveau, plus légères, à l’épreuve de l’arme blanche seulement. Qu’on prenne garde à une ruse de guerre ! La brusque réapparition de cet engin constituerait une de ces surprises dont nos voisins sont coutumiers. Un autre indice est plus caractéristique. L’ordre impérial du 12 mai 1888, armant les anciens cuirassiers de la carabine, prescrivait aussi pour ces régimens l’essai de la lance. Le 1er octobre, ils en étaient tous munis. Ainsi, de ces hésitations plus ou moins réelles, se dégage nettement l’idéal poursuivi : la cavalerie prussienne se prépare surtout à lutter avantageusement contre sa rivale. C’est une profonde entente d’un rôle considérable et nouveau.

Il fut une époque dans notre histoire où la cuirasse tomba en défaveur. C’était après les guerres malheureuses de la succession d’Autriche ; on avait décidé de l’abolir. Voici comment le premier général de l’époque appréciait cette mesure : « Je ne sais pourquoi, écrivait-il, on a quitté les armures. Bien n’est si beau ni si avantageux. S’il y avait seulement dix régimens comme cela (cuirassés) dans une armée, et qu’ils eussent secoué quelques escadrons ennemis, la frayeur s’y mettrait bientôt parce que tout leur paraîtrait cuirasse. Cet habillement met notre cavalerie en état de ne pas craindre celle de l’ennemi, mais au contraire lui fait naître le désir de la joindre au plus vite parce