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qu’elle sait que c’est son avantage[1]. » Les cuirassiers du premier empire devaient rendre un éclatant hommage à la perspicacité du maréchal de Saxe. Tant que deux cavaleries rivales seront appelées à se combattre, l’argument gardera sa valeur. Aussi, loin de songer à restreindre les élémens matériels du choc, il est plus que jamais nécessaire de les conserver et de les développer. C’est à cet ordre d’idées qu’on doit la réapparition de la lance.


La lance est le point nouveau et passionnant du débat. Supprimés en 1815, après une existence brillante, mais éphémère, les lanciers avaient cependant rendu de tels services dans les dernières années de l’empire, que l’opinion publique accusa formellement les alliés d’en avoir exigé l’abolition. On sait leurs dernières prouesses, et comment, la veille de Waterloo, à Genappe, les 1er et 2e lanciers, formant la brigade Colbert, détruisirent presque entièrement, en une seule charge, la brigade des hussards anglais de sir Hussey Vivian ; comment encore le lendemain, les 3e et 4e lanciers se couvrirent de gloire en écrasant la brigade des dragons écossais de Ponsonby.

Cependant l’apparition des lanciers avait été trop courte pour laisser des souvenirs durables. Lorsqu’en 1870, d’un trait de plume, ils furent supprimés, il ne se trouva personne pour réclamer au moins à l’exposé des motifs » d’un aussi subit abandon. Depuis, dix-huit années ont passé sans que l’idée soit venue d’en réclamer la création. Aussi leur faveur spontanée a de quoi surprendre. On se demande quel ordre de choses nouveau, jusqu’alors ignoré, brusquement les réclame. Sans histoire, sans traditions, la lance doit remporter sur l’opinion une victoire complète, non de surprise, de persuasion.

Lorsque le général Marmont, au lendemain des guerres de l’empire, affirmait : « Que la lance était l’arme principale de la cavalerie et le sabre une arme auxiliaire, » il avait une perception nette de la tactique moderne, — cette tactique qui se résume toujours en une manifestation terminale et unique : le choc. Or, par effet matériel ou moral, soit que le choc ait réellement lieu, soit qu’il se résume à une menace[2], la lance en est l’arme souveraine. Si deux troupes de cavalerie s’abordent, le fait est tangible ; car l’efficacité de ce choc résulte surtout de la rencontre d’une ligne continue de pointes. La lance est la première des pointes ; c’est la plus sûre et la plus longue. Si l’une des cavaleries

  1. Maréchal de Saxe, Rêveries.
  2. « Les manœuvres de la cavalerie sont des menaces ; la plus forte l’emporte. » (Colonel Ardant du Picq, le Combat).