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s’arréte, ou fait demi-tour avant la charge, c’est que l’effet moral que produit sa rivale est supérieur ; sa résolution l’emporte. Mais cette résolution, fruit de la confiance, ne peut naître, — à égalité de nombre et de commandement, — que de la supériorité de l’armement. Or la lance, au suprême degré, est propre à produire cet effet terrifiant. Rien n’impressionne comme le spectacle de cette forêt de pointes abaissées. En somme, par son aspect, par ses effets, c’est par excellence l’arme du choc. Mais après le choc ou après la menace, il y a mêlée. Dans ce corps à corps, la lance perd ses droits ; elle devient un outil médiocre, sinon embarrassant. La plupart du temps, d’ailleurs, cette mêlée prendra la forme d’une poursuite. Pourtant, il faut tout prévoir. Après avoir donné la lance au premier rang, qui menace ou défonce, qui prépare le succès, il faut laisser le sabre au second rang qui l’achève. C’est la solution aujourd’hui acceptée, c’est celle aussi que préconisait Jomini, au lendemain des guerres napoléoniennes : « L’armement et l’organisation de la cavalerie, écrivait-il, ont été l’objet de bien des controverses qu’il serait facile de réduire à quelques vérités. La lance est la meilleure arme offensive pour une troupe de cavaliers qui chargent en ligne, car elle atteint un ennemi qui ne saurait les approcher ; mais il peut être bon d’avoir un second rang ou une réserve armée du sabre, plus facile à manier lorsqu’il y a mêlée et que les rangs cessent d’être unis. » Et un peu plus loin il ajoute : « Quelques militaires expérimentés penchent même à armer les cuirassiers de lances, persuadés qu’une telle cavalerie renverserait tout devant elle. » Ainsi, réservant les services d’exploration et de sûreté aux seuls régimens de cavalerie légère, l’illustre tacticien revendiquait la lance pour le premier rang des cuirassiers et des dragons.

Un préjugé cependant s’élève contre cette arme. On dit qu’elle convient surtout aux hommes du nord, plus robustes, mais plus méthodiques et plus froids ; que le sabre va mieux au tempérament des peuples du midi, nerveux, souples et alertes. C’est là un inexplicable contre-sens. L’histoire prouve que de tout temps le cavalier français a combattu par la pointe qui est, en définitive ; l’arme de l’offensive, de la charge en ligne, de la résolution et de l’audace. Par elle, il s’est rendu redoutable. Ses adversaires, les cavaliers allemands et anglais, frappaient toujours du tranchant. Plus vigoureux, mais aussi plus lents, moins « impulsifs, » ils étaient surtout des sabreurs. Ce qui peut surprendre, c’est qu’une vérité si universellement connue soit aussi souvent dénaturée. D’ailleurs, en dépit de toutes les argumentations de détail, le seul fait que la cavalerie allemande se présentera armée de la lance nous dicte la solution. Ce serait courir grand risque que d’exposer nos jeunes