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En somme, il peut être prudent d’exercer la cavalerie au tir ; il l’est bien davantage encore de ne pas lui en enseigner systématiquement les avantages. Ce serait infuser un poison lent qui, brusquement, se révélerait à des indices funestes. On retrouverait un jour de l’infanterie à cheval ! Plus l’arme à feu sera perfectionnée, plus la tentation d’y chercher asile, d’échapper à la terrible échéance du choc, deviendra violente. Pour décider des hommes à se lancer dans une course vertigineuse, au bout de laquelle ils se heurtent inévitablement à l’ennemi, — c’est-à-dire à un danger tangible et immédiat, — ce n’est pas trop de leur démontrer l’impossibilité de s’y soustraire. Si on leur découvre une solution nouvelle, ils seront fatalement tentés de s’y réfugier. En somme, le combat à pied est, pour la cavalerie, une arme à double tranchant ; on n’en doit user qu’avec des précautions infinies. Il faut s’y préparer, mais n’en point trop parler.


III

Ainsi voilà notre cavalerie idéale dans les meilleures conditions, commandée, montée, armée. Elle possède tous les élémens de force, il reste à fabriquer un engin dûment soudé et équilibré, compact et souple. L’éducation de détail a été donnée dans les régimens ; ces mêmes régimens ont évolué soit isolément, soit groupés par brigades. Il s’agit de les réunir en corps de combat, en divisions, de les faire évoluer d’abord, puis manœuvrer. En un mot, le moment est venu d’aborder la préparation à la Tactique de masses. Ce sera l’objet des manœuvres spéciales d’abord, puis des manœuvres d’armes combinées.

Avant tout, on doit mesurer exactement la valeur de deux termes fondamentaux qui, correspondant à deux ordres d’idées différens, ont cependant donné lieu à de fréquentes confusions.

L’évolution et la manœuvre sont des actions simultanées, mais distinctes. L’évolution est le mouvement régulier, le procédé par lequel une troupe passe d’un ordre à un autre. C’est l’intermède entre deux formations. La manœuvre est l’emploi tactique de ces formations. D’un côté, c’est une partie fixe, réglée, mécanique, ne laissant aucun accès à l’improvisation ; de l’autre, une partie variable, imprévue, exigeant l’initiative et l’habileté des chefs. En somme, c’est la conception et l’exécution. Dans la bataille, il est indispensable que ces deux actions soient réunies ; la troupe doit traduire nettement et sûrement l’idée tactique que le chef a conçue.

C’est parce que cette distinction capitale n’a pas toujours été observée qu’on a vu parfois des manœuvres s’abaisser aux