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proportions des exercices du Champ de Mars et ne produire, à la place d’un bénéfice solide et durable, qu’un enseignement banal et purement spéculatif.

Un général qui se borne à être un évolutionneur, quelque érudit qu’il soit, n’est pas fait pour diriger la cavalerie. Il peut préparer l’instrument, il ne sait pas s’en servir ; il peut obtenir l’exécution merveilleuse de mouvemens compliqués ; il est incapable d’en faire jaillir l’étincelle utile, l’idée tactique.

La distinction, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. Elle est de toutes les époques ; elle a été perçue par tous ceux qui ont eu, à quelque degré que ce soit, l’intuition du combat : « On doit une fois pour toutes, écrivait le maréchal de Saxe, établir une manière de combattre que les troupes doivent savoir, ainsi que les généraux qui les mènent. Ce sont des règles générales, comme qu’il faut garder des distances dans la marche, que, lorsqu’on charge, il faut le faire vigoureusement, que s’il se fait des trouées dans la première ligne, c’est à la seconde de les boucher, etc. Il ne faut point discuter pour cela, c’est l’A B C des troupes. Rien n’est si aisé, et le général ne doit pas y donner son attention. Mais ce dont il doit bien s’occuper, c’est d’observer la contenance de l’ennemi, les mouvemens qu’il fait, où il porte ses troupes ; de chercher à lui donner le soupçon dans un endroit, pour lui faire faire quelque fausse démarche ; de profiter des momens et de savoir porter le coup de la mort où il le faut. Mais pour tout cela, on doit se conserver le jugement libre et n’être pas occupé des petites choses. » Pour tout cela… il faut que les troupes sachent évoluer, et les généraux manœuvrer. — Comment, dans la cavalerie moderne, ces deux conditions se trouvent-elles remplies ?

A toutes les époques la cavalerie a combattu par échelons ou lignes, — c’est-à-dire par une succession d’actions rapides, mais réglées. — C’est le fond même de la tactique des Frédéric et des Napoléon : « Il ne faut pas oublier, écrivait ce dernier, que la cavalerie est plus ou moins sur quatre ou cinq lignes, et que les lignes de derrière, si elles ne sont pas contournées par la cavalerie qui leur est opposée, peuvent la prendre à dos. » Murat, Lasalle, Montbrun, Kellermann, — comme l’avaient fait Ziethen et Seydlitz, — employèrent toujours ce procédé, et lui durent, avec la possibilité de manier des masses, leurs principaux succès.

Pourtant, cet aspect du combat de cavalerie semble peu compris. On paraît trop souvent croire qu’il exige un théâtre spécial, aplani, démesuré. Cette erreur résulte d’une fausse interprétation.

En langage militaire, une « ligne » n’est pas une droite géométrique ; — c’est un groupe spécial, quelle qu’en soit la formation