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emmanché, approprié à son but. En plus, elles leur ont communiqué la vitalité et l’entrain ; elles les ont amenées à ce point d’envisager avec confiance l’éventualité d’une lutte implacable avec quelque rivale que ce soit. Cette cavalerie possède à la fois l’unité d’organisation, d’éducation et de doctrine. Matériellement et moralement, elle est prête.

Mais, depuis qu’ont été interrompues, puis reprises, les manœuvres spéciales, leur caractère primitif a été dénaturé ; elles ne s’étendent plus à toute la cavalerie ; les divisions indépendantes seules y sont convoquées. Les 38 régimens répartis dans les brigades des corps d’armée en sont exclus. Voués aux seules évolutions de brigade, auxquelles succèdent des manœuvres d’armes combinées, ces régimens, au point de vue de leur préparation tactique, de leur emploi en masses, sont absolument sacrifiés. Pourtant, c’est réunis en masses qu’en guerre ils devront agir. Espère-t-on que, par un phénomène imprévu, la liaison et l’entente entre ces élémens, jusqu’alors épars, s’opéreront spontanément ? que les chefs des différentes unités se trouveront subitement à la hauteur d’un rôle nouveau ? Mais l’expérience des dix dernières années prouve surabondamment qu’une telle espérance est vaine. Pour qu’une division de cavalerie puisse intervenir efficacement dans le combat, il faut au moins qu’entre le divisionnaire et les généraux de brigade, entre ces derniers et les colonels, comme entre les régimens eux-mêmes, règnent cette habitude du même commandement, de la manœuvre commune, cette entente mutuelle, cette confiance réciproque d’où jaillira l’exécution rapide et précise. Croit-on, d’autre part, que leurs évolutions particulières suffisent à préparer les brigades à leur rôle dans le combat ? Jamais vérité ne fut moins démontrée. Exercées en dehors de toute action d’ensemble, de tout contrôle supérieur, ces brigades sont trop souvent, — il faut l’avouer, — entre les mains de généraux qui, ne provenant pas de la cavalerie, recherchent dans les évolutions un sujet d’étude et n’y voient que matière à leur instruction personnelle. Et ceux mêmes qui sortent de l’arme, après quelques années de cet exil, loin du centre de tout mouvement et de tout progrès, finissent par perdre leur force d’impulsion ; heureux encore quand ils ne sont pas réduits à voir leurs escadrons servir de champ d’expériences à des innovations inutiles, sinon nuisibles. Ce ne sont pas là des argumens imaginés pour les besoins d’une cause. On se souvient encore, dans la cavalerie, qu’un ministre de la guerre[1] fut obligé de rappeler certains commandans de brigades à une observation stricte des règlemens. Enfin, l’essai

  1. Le général Campenon.