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parlementaire, isolée et sans attraction. On entre et on sort inaperçu, on a quelque peine à se faire connaître des messengers qui gardent la porte et distribuent les lettres. Il faut s’initier peu à peu au règlement, qui n’est écrit nulle part, et faire une connaissance sommaire avec ces Standing orders, dont quelques-uns remontent plus loin que le règne d’Edouard Ier, et qui n’ont jamais été réunis, si ce n’est dans la tête du vénérable Erskino May, aujourd’hui défunt. Il faut se familiariser avec le couloir des oui et le couloir des non, s’habituer à saluer le Speaker en entrant et en sortant ; savoir, à point nommé, à quel moment il convient d’ôter son chapeau et en quelle circonstance il est prescrit de le remettre ; s’étudier à ne jamais passer entre le fauteuil présidentiel et l’orateur ; s’efforcer à « saisir le regard du Speaker, » puisque c’est la seule manière de demander la parole ; apprendre par cœur la liste des circonscriptions et la profession de ses six cent soixante-dix collègues, car il est interdit, à la chambre, de les appeler par leur nom, et, en les désignant par le lieu qu’ils représentent, il ne faut pas oublier de donner l’épithète de learned aux professeurs et aux gens de loi, de reverend aux ministres et de gallant aux officiers, sans oublier le Right honourable des membres du conseil privé, ni l’honourable, sans épithète, des fils de barons et de vicomtes et la « seigneurie » qu’on accorde, par politesse, aux fils de ducs et de marquis. Surtout, il faut bien connaître la fameuse ligne rouge au-delà de laquelle un orateur doit se garder de marcher dans le feu de l’improvisation : tout le monde sait, en effet, que, cette ligne rouge franchie, la Constitution est en péril et le lion britannique n’a plus qu’à se voiler la face avec sa crinière.

Quand M. Chamberlain sut toutes ces belles choses, il parla. Dans son Journal de deux parlemens, M. Lucy veut que ce début ait eu lieu en février 1877, à propos d’une loi sur les prisons. Mais M. Skottowe, auteur d’une biographie digne de foi et en quelque sorte autorisée, rétablit la vérité. C’est le 4 août 1876 que M. Chamberlain prononça son maiden speech sur le bill de lord Sandon, relatif à l’instruction populaire.

Parfaitement froid, poli, correct, maître de lui-même, sans un éclat de voix, sans un geste, il prit un plaisir intime à désappointer ceux qui s’attendaient, ou feignaient de s’attendre, à une éruption de volcan ou à une explosion de dynamite. « Après tout, il est très bien, Chamberlain ; c’est un gentleman, vous savez ! » Une chose stupéfiait : son air d’extrême jeunesse. A quelques pas, on ne lui eût pas donné plus de vingt-cinq ou trente ans. Sa taille mince, la rapidité juvénile de ses mouvemens, l’élégance presque recherchée de ses vêtemens, la fleur de prix qui ornait sa