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il semble avoir pitié de sa décrépitude. Il a dit un jour dans le parlement : « Je regrette d’avoir à discuter les idées de lord Salisbury en son absence. Mais il ne peut descendre vers moi, et, quand je le pourrais, je ne voudrais pas monter jusqu’à lui. » Remarquez ces paroles par lesquelles il se ferme à jamais les portes de la haute assemblée. La vanité d’une jeune femme, tendrement aimée, pourrait le faire changer d’opinion. Mais non, au plaisir de timbrer ses lettres d’un tortil de baronne ou d’une couronne comtale, Mgr Chamberlain ne sacrifiera pas le nom glorieux du parvenu de Birmingham, ni cette belle lignée d’ancêtres puritains, pure de toute mésalliance patricienne, et qui vaut mieux que les seize quartiers d’une chanoinesse allemande.

Ou la chambre des lords vivra et prouvera ainsi qu’elle méritait de vivre ; ou elle s’éteindra dans une pompeuse léthargie qui nous dérobera la vue de son agonie. Elle n’a pas eu John Bright ; elle n’aura ni Gladstone, ni Chamberlain. La sève populaire, le sang jeune et chaud n’arrivera plus à ses veines. Embaumée dans ses honneurs nominaux, sa rigidité majestueuse fera longtemps illusion, et on la croira vivante qu’elle aura, depuis bien des jours, cessé de respirer. Quand on viendra pour l’achever, on ne trouvera plus qu’un squelette sous la pourpre et l’hermine, et on n’aura qu’à lui décorner d’imposantes funérailles.

Donc M. Chamberlain, laissant de côté les problèmes irritans que le temps se charge de résoudre, est allé droit au plus pressé, à la constitution des assemblées de comté et de district, qui correspondent à nos conseils généraux et à nos conseils d’arrondissement, et qui centraliseront dans leurs mains les attributions éparses des divers corps électifs locaux, en y joignant des pouvoirs empruntés à l’omnipotence pléthorique du parlement. Ces conseils fonctionnent depuis un an à peine : il serait prématuré de porter un jugement sur leur vitalité et sur leur avenir. Plus que toutes les autres, et en Angleterre plus qu’ailleurs, les institutions représentatives veulent du temps pour s’implanter, fleurir et porter fruits. Dans un quart de siècle, si nous sommes encore là, nous saurons si l’enfant de M. Chamberlain était viable, si les conseils de comté et de district ont créé une nouvelle classe de politiciens, transformé une aristocratie de seigneurs terriens en une démocratie de petits propriétaires. Car c’est à ce grand rôle que les destine celui qui les a créés. Tâche bien difficile à remplir avec un gouvernement tory ! M. Chamberlain le sait, et il a dit, si je me souviens bien, que « charger les conservateurs d’exécuter la réforme de la propriété foncière, c’était donner la crème à garder au chat. » Mais, à son tour, il garde le chat.