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par ses chiens, et où leurs corps, enduits de résine, éclairaient de sinistres lueurs les jardins de ses palais. D’année en année, de siècle en siècle, la religion nouvelle progressa de ce que la servitude perdait, jusqu’au jour où celle-ci disparut du monde chrétien. Rome, au temps de sa toute-puissance, avait regorgé de captifs, et cependant, au Ve siècle de notre ère, rien n’eût été plus facile que de faire le dénombrement de ceux qui s’y trouvaient encore.

C’est en débarquant en Terre-sainte que les croisés apprirent, — quelques-uns à leurs dépens, — qu’un assez grand nombre de leurs semblables, fidèles à leurs croyances, vivaient dans une étroite servitude chez les musulmans. Ils en furent surpris à faire croire que le christianisme avait effacé de leur esprit jusqu’au mot avilissant d’esclavage. Ce qu’il y eut d’attristant par la suite, c’est que, les croisades terminées, les Vénitiens, qui n’avaient plus de pèlerins soldats à transporter d’Europe en Palestine et de Palestine en Europe, imaginèrent d’aller acheter des captifs en Tunisie, puis de les revendre dans divers ports d’Asie, ports qui, alors comme aujourd’hui, sont les meilleurs débouchés pour ce genre de négoce. Les papes fulminèrent contre ces odieux traitans, mais sans aucun succès. Les Portugais et les Espagnols, alors les maîtres de la mer, et qui avaient, eux aussi, des bateaux à utiliser, s’abattirent comme des oiseaux de proie sur les rivages africains, en dépeuplèrent les villages et remplirent Lisbonne et Séville de nègres asservis. C’est le prince Henri de Portugal qui se signala le plus par l’habile et implacable direction qu’il sut donner à l’exploitation des côtes d’Afrique. Longtemps avant la découverte du Nouveau-Monde, on pouvait voir à Séville beaucoup de noirs qui, quoique baptisés, étaient tenus en dehors de la population blanche ; ils y cultivaient la canne à sucre, importée par les Maures ; relégués dans une sorte de ghetto, ils avaient une église à eux, une police et des lois particulières. Leur existence n’avait rien de pénible.

On a accusé un homme vraiment bon, l’évêque de Chiapa Bartolomé de Las Casas, d’avoir transporté en Amérique le germe de l’esclavage.

La façon dont les conquérans espagnols traitèrent les malheureux Indiens, le dur travail des mines auquel ils étaient attachés sans trêve ni repos, donna au saint évêque l’audace d’accuser le roi d’Aragon et de Castille de faire anéantir par des lieutenans très âpres à la curée ses sujets du Nouveau-Monde. Il remontra à son royal maître que la race caraïbe était menacée d’extinction si l’on ne venait charitablement à son secours. Pour ne pas la voir disparaître et continuer l’extraction de l’or, l’évêque conseillait de