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Mozambique ou en Guinée, le but réel de leur voyage. Ils y avaient établi des agens qui allumaient de grands feux sur le rivage lorsqu’un bâtiment des croisières naviguait dans leurs parages. Les risques étaient grands, car, généralement, sur trois négriers un seul parvenait à tromper la surveillance des croiseurs. On juge si elle était active des deux côtés : pour l’un, la pendaison en perspective ; pour l’autre, une forte prime par chaque noir délivré. Tout à fait au début de la traite, les compagnies d’assurances prenaient 11 pour 100 seulement de prime sur une cargaison de nègres. Avec l’interdiction de la traite, le droit de visite de tout bâtiment suspect, elles exigèrent 40 pour 100 à l’aller comme au retour. Le prix d’un bon Africain variait de 7,000 à 15,000 francs. Un chargement se composait de 650 esclaves, qui, nuitamment embarqués, étaient dirigés sur La Havane, où les autorités espagnoles, de connivence avec les armateurs américains, visaient, moyennant une redevance, tous les papiers du bord qu’on leur présentait. Des bateaux pêcheurs, en permanence dans les ports de l’île de Cuba, prenaient finalement les Africains et allaient les débarquer aux États-Unis. Le Wonderer, le plus célèbre des clippers américains, y mettait moins de façon ; il chargeait dans le sud son contingent de noirs et le débarquait à New-York, toujours échappant avec un bonheur merveilleux aux croisières qui le surveillaient. Du 1er janvier 1839 au 9 mars 1840, les Anglais saisirent 82 navires avec 5,458 nègres. Croit-on que le transport des noirs aux États-Unis en diminuât ? En aucune façon, car, en 1858, dans les deux seuls mois de mars et d’avril, 50 clippers partirent des ports des États-Unis à destination de La Havane ou plutôt pour le littoral africain. Pendant bien longtemps, en dépit du droit de visite, de l’assimilation de la traite à la piraterie, des échanges de notes diplomatiques et d’incessantes croisières, 40,000 esclaves furent chaque année débarqués à Cuba. Ils s’y rendaient ouvertement dans des marchés publics appelés barracouns. D’ailleurs, leur débarquement était si bien toléré que les gouverneurs de l’île y envoyaient des commissaires pour veiller à ce qu’on ne les oubliât pas. Les contrebandiers payaient à ces hauts fonctionnaires une once d’or ou 80 francs par tête de nègre. De 1835 à 1840, les gouverneurs se firent par ce moyen 1 million de piastres ou 5 millions de francs.

Les rigueurs exercées contre la traite ne l’avaient donc rendue que plus active. Les enfans noirs, en prévision d’un arrêt complet du trafic par mer, étaient surtout très recherchés par les planteurs. Dans son livre, un Hiver aux Antilles, M. Gamey raconte qu’il assista au débarquement de plusieurs centaines de petits nègres : « Maigres, décharnés, écrit M. Garney, la plupart portaient encore