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des Européens devenus musulmans, quelques-uns de ceux-ci taillés sur le modèle de l’oncle Barbassou, sont restés fidèles aux anciens usages, et ces apostats les pratiquent avec une licence qui scandalise parfois les Turcs de vieille roche.

Le colonel Schaeffer, chargé de veiller sur les agissemens ténébreux de certains traitans en Égypte, s’est efforcé de procurer, — et il y a pleinement réussi, — aux femmes qu’il a pu faire rendre à la liberté une situation leur permettant de gagner leur vie d’une façon honnête. Une société intitulée : The Cairo home for freed women slaves, dont S. M. la reine d’Angleterre est protectrice et l’inévitable sir E. Baring président, a déjà réuni quatre cents de ces malheureuses créatures dans une maison de refuge, où, sous la direction d’une dame anglaise, très maternelle pour ses enfans d’adoption, elles apprennent ce qui peut en faire d’utiles servantes, mais servantes absolument libres de leurs actes en dehors d’un service bien rétribué. La population musulmane du Caire, qui sait qu’aucune tentative de prosélytisme ne sera faite auprès des libérées, n’y trouve rien à redire ; on dit aussi que le khédive lui donne sa haute approbation, ce qui ne surprendra personne.

Djeddah, sur la Mer-Rouge, ne dépend pas du khédive ; cela n’a pas empêché le colonel Schœffer, tout dévoué à sa mission, d’affirmer, par une certitude acquise sur les lieux, que cette ville est un grand entrepôt d’esclaves. En excursion dans ces parages, il envoya un de ses officiers à terre en lui disant d’opérer comme s’il y allait pour acheter un domestique. En route, l’officier demanda au batelier, d’un ton dégagé, où il pourrait se procurer un nègre, et le batelier, sans défiance, lui offrit de le conduire au dépôt du principal marchand. Lorsqu’on sut dans la ville qu’un étranger, — il était accompagné d’un officier égyptien, — désirait un esclave, plusieurs personnes vinrent à lui dans la rue et lui proposèrent de le conduire là où elles en savaient en dépôt. Il entra ainsi dans dix-huit maisons de marchands où il trouva des nègres et des Abyssins, au nombre de six à quatorze dans chaque habitation.

Un de nos jeunes compatriotes, M. George Grimaux, que n’ont pas rebuté les difficultés d’un voyage à Massaouah et à Hodeida, m’a raconté que, malgré les croisières de l’Océan-Indien et de la Mer-Rouge, la marchandise noire continuait à affluer sur les côtes d’Arabie. Le gouvernement turc, plus aveugle qu’un quinze-vingt, ne veut rien voir, et, grâce à sa tolérante complicité, on vend des nègres un peu partout. Si dans une ville comme Hodeida, m’a dit. M. Grimaux, où il y a deux consuls européens, le commerce des noirs se fait clandestinement, il se pratique