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même si l’on ne nous y eût pas accusés, comme l’a fait la presse allemande et anglaise, d’avoir favorisé par dessous main la traite en autorisant les insulaires des Comores à arborer sur leur légère embarcation le pavillon tricolore ? Voulait-on que, sujets français, ils y missent un pavillon étranger ? Et pourtant il est avéré que leurs bateaux ont été visités non pas une fois, mais trois et quatre fois avec une insistance marquée par les navires de guerre allemands et anglais. Il n’est pas jusqu’aux bateaux à vapeur des messageries maritimes allant de Marseille à Madagascar, qui n’aient été soumis à des questions humiliantes et déplacées. Les imputations ont été si loin à notre égard, qu’on nous a accusés de favoriser le commerce des esclaves du Mozambique à Madagascar. Pour les faire cesser, le premier ministre de cette île, sur la demande de M. Le Myre de Villers, a publié une loi aux termes de laquelle tous les esclaves qui désormais débarquent dans l’île seront affranchis de droit. « Ainsi, dit le décret royal que j’ai sous les yeux, si des Mozambiques venant d’au-delà de la mer sont introduits à Madagascar sur n’importe quel point pour être esclaves, ils ne seront pas esclaves, mais sujets libres. »

Le décret est daté du 8 mars 1889. Il y a malheureusement des esclaves à Madagascar, mais ils y sont d’ancienne date, et pour les libérer, il faudrait indemniser ceux qui en sont les possesseurs, et les finances du trésor malgache ne permettent pas cette libéralité. Du reste, m’a affirmé l’honorable gouverneur de Madagascar, les esclaves d’Emyrne tiennent plus à leurs maîtres que les maîtres tiennent à leurs esclaves. Il faut que les maîtres les nourrissent ; quant à travailler, les esclaves mozambiques ne le font que lorsque l’envie leur envient, et jamais cette envie n’a germé chez eux.

Ce qui ne s’est pas dit à Lucerne se dira peut-être à Bruxelles, où des représentans des nations antiesclavagistes se trouvent en ce moment réunis. Dans l’intérêt des Africains, il vaudrait mieux qu’il n’y eût pas de récrimination, car si quelqu’un avait le droit de se plaindre, ce serait le nègre, qui n’y sera certainement pas. Pour que chaque membre du congrès reste dans de sages limites, il n’aura qu’à se répéter ces mots de l’acte constitutif du Congo : « Les puissances s’engagent à ce que les territoires sur lesquels elles ont de l’influence ne servent ni de marché, ni de voie de transit à la traite des esclaves, de quelque race que ce soit. »

Et c’est là, en somme, qu’est pour elles la solution, mais en étendant cette influence sur les pays musulmans afin d’en obtenir l’abrogation du statut de l’esclavage. Une action collective armée n’aurait aucune chance de réussite, car, une troupe ne pouvant agir, combattre d’une façon entièrement indépendante, elle porterait