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se reproduire. Dans ce sujet encore, c’est en France que nous trouvons des précurseurs en deux grands esprits qui furent aussi de grands ministres, Turgot et Necker. « En tout genre de travail, dit le premier, il doit arriver et il arrive, en effet, que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour lui procurer sa subsistance, » (Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, édit. 1788, p. 12.) Quant à Necker, il s’exprime ainsi : « Les propriétaires de subsistances, usant de leur pouvoir et désirant multiplier le nombre de leurs serviteurs, forceront toujours les hommes qui n’ont ni propriété ni talent à se contenter du simple nécessaire. » (Sur la Législation des grains, édit. 1771, p. 312.) C’est donc l’accroissement de la population qui apporte aux uns la gêne et même l’indigence, aux autres le bien-être et l’opulence, et ainsi heureux les peuples où elle n’augmente que lentement !

Bastiat, en 1848, dans ses Harmonies économiques, et, récemment, M. Paul Leroy-Beaulieu, dans son excellent livre : la Répartition des richesses, ont battu ces propositions en brèche, avec beaucoup de force et d’éclat, mais en méconnaissant, à mon avis, la part de vérité que renfermait la doctrine des anciens maîtres de la science économique. Dupont-White, en la prenant pour point de départ de son livre, y fait cependant déjà de curieuses réserves. Ainsi, à la hausse progressive du prix des grains annoncée par Ricardo, il signale plusieurs obstacles : le perfectionnement des méthodes de culture, l’amélioration des routes et l’importation des grains étrangers. Il semble prévoir l’arrivée des blés américains, qui, à l’élévation progressive des fermages, a fait succéder, depuis 1875, une baisse si rapide. Il constate aussi que la condition des ouvriers s’est beaucoup améliorée, surtout en France, mais il fait ressortir avec force tout ce que l’organisation actuelle de l’industrie leur fait parfois souffrir : le dur labeur dans des ateliers surchauffés, la durée excessive de la journée de travail, le père et souvent la mère de famille arrachés au foyer domestique, le chômage en temps de crise. Il emprunte aux écrits des socialistes l’énumération de ces griefs, comme le font aujourd’hui les réformateurs de l’école catholique en Allemagne, avec l’évêque Ketteler, et en France avec M. de Mun.

C’est pour porter remède à ces maux, qui sont la conséquence du progrès de l’industrie, que Dupont-White réclame l’intervention de l’État. Oui, dit-il, nous avons l’égalité devant la loi : les castes privilégiées n’existent plus. Nous acquérons chaque jour plus de liberté et une plus large part à la collation et à la direction du pouvoir ; mais ce qui manque à la réalisation du programme, résumé en trois mots fameux inscrits en tête de nos constitutions,