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réforme qui doit, prétend-il, sauver la société, c’est-à-dire la liberté du testament : elle sera de nul effet. De même la loi, en s’occupant de la protection des ouvriers, prêche d’exemple ; elle fait comprendre à chacun de nous notre devoir de nous efforcer d’améliorer leur sort. « Les grandes passions font les grandes nations, » a dit Carnot. Jamais une passion ne possède un peuple sans qu’elle se traduise dans son gouvernement ; donc un gouvernement inerte est la marque d’un peuple sans avenir.

Ainsi va Dupont-White, confirmant sa thèse. Il ne manque pas non plus de répondre à ses adversaires : la dernière partie de son livre y est consacrée. C’est énerver les hommes, disent ceux-ci, que de les habituer à l’intervention de l’État ; le meilleur moyen de développer l’initiative individuelle est de la laisser agir librement, sans nul secours. À ce propos, un souvenir de Bunsen me revient à la mémoire. Revenant d’Amérique, il est nommé ambassadeur à Rome. Un incendie éclate sous ses yeux : la foule regarde, nul ne bouge. Vite de l’eau, des échelles s’écrie-t-il. On lui répond : Toca al governo. — Voici ce que répond à cela Dupont-White : « Supposez un pays peuplé d’apathies et gouverné par l’apathie ; les sujets naturellement paresseux, l’État inerte par nature et par principe ; il se garde d’énerver le peuple en l’aidant ou en l’obligeant à agir. Abstention générale, torpeur de haut en bas. Il naîtra peut-être de grandes choses de cette inertie universelle ; mais on ne voit pas bien comment, et le secret de l’avenir est bien gardé. » J’ai vu ce tableau en Turquie, où tout s’en va en ruines. Il était pourvu à quelques services d’intérêt général, grâce à l’esprit religieux et aux vakoufs. On prend une partie de leurs revenus, et l’eau pour les ablutions n’arrive même plus aux mosquées de Constantinople. Qu’on vende les biens vakoufs, comme le veulent les progressistes occidentaux, et rien d’utile au public ne se fera plus.

L’instruction élémentaire est une nécessité bien évidente, et pourtant on n’a va nulle part, pas même en Angleterre, l’initiative privée y pourvoir convenablement, c’est Guizot qui l’affirme. Vous pouvez compter sur l’intérêt individuel pour la création de la richesse, quand celle-ci est la récompense proporûonnelle des efforts de l’individu. Mais celui-ci s’abstient des choses qui lui sont les plus avantageuses, quand, ne pouvant les faire à lui seul, il ne peut contraindre les autres à OH faire autant que lui. Allez donc lui demander de paver les rues, de faire des routes, de créer des ports ! Je me rappelle un étudiant de l’Amérique centrale qui suivait le cours où mon savant confrère à l’Institut, M. de Molinari, prêchait la non-intervention, au point de vouloir remettre à une compagnie l’organisation de la défense nationale, comme à l’époque des condottieri en Italie. Devenu plus tard président de la république dont il était