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les articles soient séparés des substantifs ? Toute la phrase, au contraire, forme une chaîne plus ou moins serrée dont il nous serait difficile de distinguer les anneaux, si nous n’y étions pas préparés et instruits depuis l’enfance.

Il n’est sorte de méfaits qu’il ne soit de mode d’attribuer aujourd’hui à l’écriture. Elle est en retard sur la langue, elle déguise la vraie prononciation, elle maintient d’apparentes exceptions qui masquent la régularité des lois du langage, elle le pervertit même en substituant une uniformité de mauvais aloi à la variété et à la souplesse de la parole. Il y a sans doute quelque vérité dans ces reproches. Mais qu’est-ce que ces défauts, dont plusieurs ne sont visibles qu’à l’homme du métier, en regard des services que l’écriture rend tous les jours à la conscience linguistique de chacun ? Sans elle, le mot, c’est-à-dire l’unité irréductible de tout langage, n’existerait qu’à l’état vague et flottant. Les fonétistes sont des ingrats et des barbares qui, si on les écoutait, nous feraient perdre le bénéfice de vingt-cinq siècles de culture. Si on les laissait agir à leur guise et s’ils étaient conséquens avec eux-mêmes, ils feraient rapidement du français une sorte de conglomérat fossile où les seuls linguistes pourraient encore démêler les mots et découvrir la trace d’une ancienne grammaire.


IV

Avant de chercher quelles modifications de détail pourraient être introduites, il faut examiner les raisons d’utilité qu’on allègue pour une refonte d’ensemble. Ces raisons sont de diverses sortes : économie d’argent, facilité plus grande fournie aux étrangers, commencemens aplanis pour l’enfant, plus large diffusion assurée à la langue française.

L’économie d’argent est un motif fait pour frapper les calculateurs. Un statisticien a reconnu qu’avec le système de M. Raoux, on épargnerait un tiers, ou au moins un quart des lettres. « Si l’on admet que sur 35 millions de Français, 1 million, en terme moyen, consacrent leur journée à écrire ; si l’on évalue le prix moyen de ces journées à 3 francs seulement, on trouve un milliard, sur lequel on économiserait 250 millions par année. La librairie dépense bien une centaine de millions en papier, composition, tirage, port, etc., sur lesquels on gagnerait encore 25 millions. Mais le nombre des gens sachant lire et écrire décuplerait… De sorte que ce profit de 275 millions serait doublé ou quadruplé et l’économie imperceptible d’une lettre par mot donnerait un bien plus grand bénéfice que les plus beaux progrès de la