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n’y trouvant ce qu’il cherche qu’à une trop faible dose malgré l’insupportable longueur des trois gros volumes.

En revanche, ce livre hybride nous intéresse singulièrement comme signe des besoins spirituels de ce temps-ci chez nos voisins d’Angleterre. Sans être d’avis que leur pays soit « le seul en Europe qui pour le moment possède une religion et une liberté bien comprises, » nous reconnaissons que nulle part le sentiment religieux n’a poussé de racines aussi profondes et qui résistent mieux au vent de la discussion. La Bible y est encore le pain quotidien pour une majorité considérable, et les âmes qui ne s’en contentent plus ne cessent pas néanmoins d’être préoccupées d’elle. Au milieu des agnostiques de toute nuance, des positivistes plus ou moins mitigés, des théoriciens plus ou moins respectueux de l’inconnaissable, le nombre augmente là-bas tous les jours de ces néo-chrétiens qui cherchent à mettre d’accord la science moderne et l’évangile, dont ils gardent la morale, tout en repoussant ses miracles. Le Robert Elsmere de Mrs Ward est un théiste de cette espèce. Il est entré dans les ordres avec une vocation ardente, mais qui, à son insu, ne reposait que sur le sentiment. Plus tard, des études périlleuses le conduisent au doute. Son angoisse lorsqu’il se rend compte du chemin qu’il a parcouru et de l’impossibilité de revenir sur ses pas, les conséquences poignantes pour lui et pour d’autres de sa rupture avec l’église, tel est le véritable sujet du roman, car ce qui suit, sur la fondation d’une religion nouvelle, distille un tel ennui que la presse orthodoxe pouvait se dispenser, semble-t-il, de le signaler comme dangereux. Ce n’est pas la première fois qu’une controverse, fût-elle menée avec beaucoup de talent, n’aura servi qu’à grandir outre mesure l’importance de l’œuvre attaquée. Les considérations émises, en style de prédicateur, par l’honorable M. Gladstone, sous ce titre : le Combat des croyances[1], prouvent l’inextinguible intérêt pris en Angleterre à tous les sujets religieux, autant que peut le prouver la vogue même d’un roman de propagande sans événemens et sans émotion dramatique. Mais les esprits superficiels tels que le sont, c’est établi sans conteste, nos esprits français refuseront absolument d’admettre que le plus grand défaut de Robert Elsmere soit d’être insuffisamment didactique, de prêter une trop grande puissance d’argumens à la libre pensée, tandis que le christianisme révélé reste dans toutes les discussions d’une faiblesse lamentable. C’est le droit, après tout, et presque le devoir du roman d’être passionné. Imaginez Mademoiselle de la Quintinie ou l’Histoire de Sibylle épluchées à ce point de vue, M.

  1. Robert Elsmere and the Battle of Belief, by the Right Hon. W-E. Gladstone, — the Nineteenth century n° 135.