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Flaubert et de M. Leconte de Lisle, de Charles Baudelaire et des frères de Goncourt, avait encore fait une place considérable à M. Taine lui-même, à M. Renan, à M. Dumas. M. Spronck, lui, n’admet plus à l’honneur de témoigner de la vie « intellectuelle, sentimentale, et sensorielle » de leur temps, que les artistes littéraires : Gautier, Baudelaire, MM. de Goncourt, M. Leconte de Lisle, Flaubert et M. Théodore de Banville ; et, sans doute, c’est ce qui fait l’originalité de son point de vue, mais c’est ce qui en fait aussi l’étroitesse ; — et, comme nous disions, l’arbitraire.

Il l’a d’ailleurs bien senti lui-même ; et ce n’est pas pour une autre raison que, dans le premier chapitre de son livre, il nous a proposé toute une Théorie de l’art en général, quelque peu superficielle, vague et flottante encore en son contour, mais enfin, telle quelle, dont l’objet est de servir d’excuse à ses omissions. Elle ne les justifie point ; et ici même, tout récemment, nous avons essayé de montrer qu’assurément M. Taine et M. Dumas n’ont pas exercé sur les transformations de la pensée contemporaine une moindre influence que Gustave Flaubert. Si nous n’avons pas ajouté qu’ils en ont exercé tous les trois une beaucoup plus grande que les auteurs de Renée Mauperin et de Germinie Lacerteux, c’est que nous avons cru que tout le monde en était convaincu comme de l’évidence. Pour être, en effet, vides ou dépouillées de toute « arrière-pensée scientifique, politique ou morale, » c’est une question, que de savoir si les créations du roman ou de la poésie en sont plus conformes au véritable objet de l’art. Mais ce qui n’en fait certainement pas une, c’est que, dans un siècle comme le nôtre, agité d’une infinité de préoccupations « scientifiques, politiques ou morales, » les œuvres où l’avenir n’en retrouvera pas quelque trace, n’exprimeront pour lui, comme pour nous, que la moindre part de l’esprit de ce siècle. M. Spronck n’a pas démontré, et, il aura beau faire, il ne démontrera pas qu’une œuvre d’art soit d’autant plus expressive ou significative qu’elle est plus curieuse, si même ce ne sont là des qualités assez différentes pour n’avoir peut-être entre elles aucune commune mesure. Allons encore plus loin. Où l’on retrouve l’esprit d’un siècle et d’une génération, c’est constamment dans les œuvres les moins curieuses, les moins personnelles, par conséquent, qu’ils nous aient léguées, c’est dans le roman de Frédéric Soulié, c’est dans le théâtre d’Eugène Scribe, c’est dans les poésies de M. Auguste Vacquerie ; ce n’est déjà ni dans les Feuilles d’automne ou dans les Méditations, ni dans les proverbes ou dans les comédies de Musset, ni dans les romans enfin de Stendhal ; mais c’est encore bien moins dans l’œuvre de ces « artistes littéraires » dont j’ai craint bien souvent pour eux, que l’originalité ne fût savamment élaborée de quelque singularité naturelle d’esprit, de beaucoup de parti-pris, et d’un peu de charlatanisme.