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toujours le lendemain qui est la dangereuse énigme. La difficulté pour les révolutions est dans les crises d’anarchie ou de réaction qu’elles provoquent, dans les questions de toute sorte qu’elles soulèvent.

On va voir ce qui sortira de cette révolution brésilienne, si elle réussira à s’organiser ou si elle ressemblera à toutes les évolutions de l’Amérique du Sud. Le nouveau gouvernement ne manque pas sans doute d’une certaine diplomatie dans ses premiers actes. Il évite de se compromettre. Il abolit la constitution ; mais il se garde d’inquiéter les fonctionnaires, il s’étudie au contraire à les rassurer. Il se déclare prêt à remplir toutes les obligations de l’ancien gouvernement. Il s’efforce de tranquilliser la banque, les financiers, les intérêts étrangers. Il promet l’ordre. Il n’est pas moins certain que dans une aussi vaste étendue qui égale presque celle du vieux continent, entre des provinces séparées par d’immenses espaces du nord au sud, il y a de vieux antagonismes qui ont éclaté plus d’une fois même sous l’empire, qui peuvent se déchaîner encore plus sous la république. C’est une difficulté intérieure ; mais il y a une autre question qui intéresse l’Europe, qui ne peut du moins la laisser indifférente. Par une coïncidence singulière, cette révolution de Rio s’est accomplie au moment même où se trouve réuni à Washington un congrès du tous les états américains sous les auspices des États-Unis. La pensée invariable des États-Unis, on le sait bien, est de créer une sorte de vaste fédération économique, même politique, de tous les états du Nord et du Sud de l’Amérique, de les lier par un système de rapports concertés, pour opposer le Nouveau-Monde au vieux monde. Jusqu’ici le cabinet de Washington avait trouvé un certain obstacle dans le Brésil, qui était assez puissant pour avoir sa politique commerciale. Aujourd’hui le Brésil entre dans les vues des États-Unis. Ce qui en résultera n’est pas l’affaire d’un jour. On peut prévoir toutefois que cette révolution, qui n’est peut-être pas sans péril pour la paix intérieure de l’état brésilien, peut aussi n’être pas sans conséquence pour l’avenir des relations de l’Europe avec le Nouveau-Monde.


CH. DE MAZADE.