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il était surveillé et tenu à l’œil par son oncle et sa tante, comme un débiteur dont le créancier met en doute la solvabilité et la bonne foi. Jamais amitié ne fut plus orageuse : tout était matière à soupçons et à reproches. Les victoires mêmes que Maurice remportait en Flandre donnaient ombrage, et on n’y applaudissait, à Madrid, que pour la forme ; car, une fois maître des Pays-Bas, le beau-père n’allait-il pas préférer son agrandissement personnel à celui de son gendre ? Puis, dès que, sur un point quelconque de l’horizon, une conversation diplomatique était engagée par les agens français, leurs collègues espagnols accouraient, dressant l’oreille et exigeant d’être admis en tiers. Si on parlait devant eux à voix basse, c’est que la trahison était méditée, sinon déjà consommée. La méfiance, d’ailleurs, était appuyée et entretenue, il faut le dire, par le sentiment commun des Espagnols, toujours malveillans pour ce qui venait de l’autre côté des Pyrénées et, depuis qu’ils obéissaient à un petit-fils de Louis XIV, plus jaloux que jamais de se défendre de la domination française.

Les difficultés, sans cesse renaissantes, produites par une telle disposition d’esprit, sont peintes avec vivacité dans une dépêche de l’ambassadeur de France à Madrid, Vauréal, évêque de Rennes : — « Je trahirais mon devoir, écrivait-il à d’Argenson, si je déguisais la vérité dans une matière aussi importante ; je vous l’expose en particulier, afin que vous en rendiez compte au roi, si vous ne jugez pas à propos de le faire en plein conseil. Ce serait se tromper que d’espérer de faire sentir ici le prix de ce que la France fait pour l’Espagne ; tout ce que nous faisons, nous y sommes obligés, ou nous ne le faisons que pour notre intérêt particulier : si les succès sont mauvais, ce sera toujours notre faute ; s’ils sont bons, nous n’y aurons contribué que faiblement, et on croira toujours que nous aurions pu faire beaucoup davantage : tout ce que nous aurons fait sera non avenu, et ce que nous aurions pu faire sera infailliblement matière à reproches. En un mot, monsieur, avarice, jalousie, ingratitude, c’est tout ce que nous devons attendre de l’Espagne tant qu’elle sera gouvernée comme elle l’est présentement… Depuis que le roi a pris des engagemens, il a déclaré la guerre à tous les ennemis de l’Espagne ; il n’y a marque d’amitié et de confiance que Sa Majesté ne lui ait donnée… Qu’en est-il, arrivé ? les prétentions ont augmenté en proportion des faveurs reçues : l’insensibilité, pour tout ce qui a rapport à la France, s’est montrée à découvert. Les succès du roi en Flandre et en Allemagne ont causé la douleur la plus amère : la défiance et les soupçons ont augmenté… Tel sera toujours l’effet des complaisances, quand on ne sera pas bien sûr ici qu’elles sont