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contraires, lui fait observer d’abord que, si Londres s’entend avec Madrid, la marine et le commerce français perdront un appui précieux contre les croiseurs britanniques, puis que, fût-on même bien décidé à offrir en hommage à l’infant tout le fruit de nos victoires, il faudrait encore éviter de s’y engager d’avance, pour garder jusqu’à la dernière heure la liberté et le mérite du sacrifice. Le ministre, alors dépité de ne trouver aucune issue pour sortir d’une situation qui le gêne, n’a de ressource que de s’écrier avec un gros soupir : « Ah ! cette reine d’Espagne ! cette reine d’Espagne[1] ! »

L’écho de cette impatience trop mal dissimulée arrivait rapidement à Madrid : car entre les deux familles royales, désormais si étroitement unies par un double mariage, c’était un échange constant de correspondances, qui, de l’une à l’autre, ne laissaient rien ignorer. La reine était donc parfaitement informée des sentimens que lui portait le ministre dirigeant de la politique de Louis XV, et, ne se piquant pas elle-même de ménager ses termes, elle lui rendait avec usure ses expressions d’irritation et de dédain.

L’incompatibilité d’humeur, devenant ainsi chaque jour plus prononcée et plus aiguë entre les deux cabinets, avait un contre-coup plus fâcheux encore sur le terrain militaire. Là, l’effet se faisait sentir par des conflits constans entre les généraux commandant les armées alliées. Un différend de cette nature, provenant de cette origine et d’une extrême gravité, venait même de s’élever à la fin de la dernière campagne, au moment où l’hiver devait en interrompre les opérations. De pareils débats sont fréquens entre des généraux chargés de faire accorder ensemble les mouvemens de troupes marchant sous divers drapeaux. Mais, d’ordinaire, c’est dans l’adversité que la discorde éclate, alors que chacun des associés trouve intérêt à se disculper, aux dépens d’autrui, des conséquences de ses fautes ou des trahisons de la fortune. Cette fois, au contraire, c’était de la victoire même, de l’excès de confiance qui en était la suite, et à propos du parti qu’on en pouvait tirer, que naissait la dissidence. Jamais campagne, en effet, n’avait été plus heureuse que celle que venaient de soutenir, pendant tout l’été de 1745, les armées espagnole et française que, dans la langue militaire du temps, on désignait sous le nom commun de Gallispaus. Les succès de Maillobois, moins éclatons que ceux de Maurice, n’avaient été ni moins complets, ni moins continus. Le vieux maréchal paraissait retrouver sur ce théâtre des exploits de sa jeunesse les réelles qualités qui avaient fait sa réputation et dont la défaillance

  1. D’Argenson à Vauréal, 29 mai, 13 juillet, 6 août 1745. — Vauréal à d’Argenson, 29 juin, 20-27 août 1745. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)