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s’était fait si tristement sentir dans son ingrate expédition de Prague. Par une manœuvre, aussi bien combinée au point de vue politique que militaire, il avait réussi à concentrer toute la lutte dans le champ, d’ailleurs assez vaste, qui s’étend entre la rivière de Gênes et le cours supérieur du Pô. Il pensait avec raison que, tant que Marie-Thérèse était occupée en Allemagne, le véritable ennemi à poursuivre était le roi de Sardaigne, qui, mal secondé par son alliée, pouvait être écrasé par un vigoureux effort. L’événement justifia sa combinaison : un mouvement de concentration très bien conduit réunit entre Gênes et Alexandrie les troupes espagnoles venant de Bologne et de Modène et les troupes françaises entrées en Italie par la Provence et suivant le littoral de la Méditerranée. Devant leur attaque vivement poussée, toutes les places fortes qui garnissaient cette contrée et dont plusieurs, comme Acqui et Tortone, avaient une véritable importance, durent successivement capituler. Charles-Emmanuel, accouru pour prendre la tête de ses troupes, mais faiblement secouru par un détachement autrichien, dut reculer jusqu’à un angle étroit de terrain formé entre le Pô, le Tanaro et la petite rivière du Scrinio, où, forcé enfin de livrer la bataille, il la perdit complètement. Rien ne put résister à l’admirable élan des colonnes françaises, franchissant le Tanaro sous le feu de l’armée, le soldat ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Ce combat de Bassignano, demeuré un des plus beaux faits d’armes de nos annales, mériterait (on l’a justement observé) d’être tiré de l’oubli où les imprudences et les malheurs qui suivirent l’ont malheureusement trop tôt laissé tomber. Charles-Emmanuel repassa le Pô en pleine déroute, ne songeant plus qu’à couvrir Turin, et laissant en la possession des vainqueurs Asti, Valence et Casal ; le seul point qui fît encore résistance sur la rive droite du fleuve était la citadelle d’Alexandrie, la ville elle-même étant occupée par des bataillons français et espagnols. Les Autrichiens, non moins déconfits, se réfugièrent à Novare.

Le bon sens disait que, l’opération ayant si bien réussi, il convenait avant toutes choses de la mener à fin. On tenait le pied sur la gorge du roi de Sardaigne : en appuyant, on le forçait de demander merci. Le projet de Maillebois fut donc de maintenir, pendant le repos forcé de l’hiver, les troupes des deux armées réunies sur le terrain qu’elles venaient de conquérir, achevant d’assurer la soumission d’Alexandrie par un blocus étroit, et menaçant ainsi Charles-Emmanuel de fondre sur lui, au premier jour, avec une force irrésistible et de le faire prisonnier dans sa capitale. Mais ce plan, qui était la sagesse même et auquel adhéraient le commandant de l’armée espagnole, le comte de Gages et l’infant lui-même qui l’accompagnait, dut être envoyé à Madrid, où toutes les questions (même