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répertoire de philosophie pratique. Les sujets les plus vulgaires y sont traités avec un luxe de détails qui touche souvent à la trivialité. Ce sont des leçons de prudence, d’ordre et d’économie qui procèdent d’une morale un peu terre à terre. Dans son Anneau nuptial (Trouwring), daté de 1637, il conte avec une simplicité cynique des anecdotes conjugales d’une convenance plus que douteuse, et il est curieux de voir cet homme, qui occupe déjà une des charges les plus importantes de l’état, se complaire en des inventions dignes de Jan Steen. Il conservera jusque dans l’extrême vieillesse ce ton de badinage, et son dernier ouvrage : Biographie d’un octogénaire (Twee entachtigjarig leven) ne laisse guère supposer que Cats a rempli les fonctions de grand-pensionnaire, et qu’en des temps difficiles il a été mêlé aux plus grandes affaires. C’est pour le peuple, au surplus, que Cats a écrit, et il ne peut guère être compris que dans son pays. Mais la popularité de ses œuvres, à laquelle contribuèrent aussi sans doute les illustrations d’Adriaen Van de Yenne, y fut telle que, dans la seule année 1655, un éditeur de ses poésies en vendait à Amsterdam 55,000 exemplaires. Cependant en Hollande même, dans ces derniers temps, une réaction s’est élevée contre un auteur qui manque par trop d’élévation, et ce n’est pas sans raison qu’on lui dénie aujourd’hui la place qui, pendant longtemps, lui avait été accordée dans le triumvirat littéraire, à côté de Hooft et de Vondel.

On le voit, les écrivains favoris de la nation étaient ceux qui, travaillant exclusivement pour elles se sont étroitement associés à ses idées, à ses croyances et mêlés de plus près au courant de sa vie familière. Ils n’y forment pas, du reste, une caste séparée, uniquement absorbée par le culte des lettres ; pour la plupart, ils exercent en même temps une industrie ou ils remplissent un emploi public : Huygens est homme d’état et secrétaire des princes d’Orange ; Vondel est chaussetier dans la Warmoesstraat, le poète Krul forgeron, et, avant d’arriver aux grandes dignités qu’il a occupées, Cats a fait office d’avocat et professé le droit. Plusieurs aussi sont des réfugiés venus du dehors et appartiennent à des familles flamandes. Mais la force d’expansion de cette nation est telle que les étrangers qu’elle attire à elle participent presque aussitôt de la façon la plus complète à sa vie. C’est même l’infériorité de cette littérature qu’elle est restée trop spécialement hollandaise et ne peut être goûtée que par des Hollandais. Elle conserve des étrangetés et un goût de terroir qui ne lui permettent pas de franchir les frontières entre lesquelles la langue est comprise. Historiquement, du moins, elle a eu son importance ; elle aide à l’intelligence de cette époque, et il faut essayer d’en pénétrer l’esprit