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plus hautes. N’accusons pas trop, du reste, leurs contemporains. Comment auraient-ils pu apprécier des formes d’art si nouvelles ? Loin de se rattacher aux traditions, elles semblaient faites pour dérouter toutes les opinions reçues. Ce n’est que peu à peu, avec le temps, que l’école hollandaise a conquis la place qu’elle occupe aujourd’hui, et il est bon de rappeler ici que c’est un critique français, Thoré, qui, par son enthousiasme passionné, a le plus contribué à la lui donner.

Pour ce qui touche Rembrandt, en particulier, nous ne devons pas nous étonner outre mesure de la situation misérable où il était tombé vers la fin de sa vie. Il ne faut pas oublier que cet homme, qui, pendant longtemps, a été représenté par la légende comme un avare était, en réalité, un prodigue, toujours prêt à s’endetter pour satisfaire sa curiosité de collectionneur ; que, sans compter et avec l’imprévoyance d’un enfant, il continuait à contracter des engagemens qu’il était incapable de tenir. C’en était assez pour éloigner de lui tous ceux de ses contemporains qui, jugeant sa conduite à un point de vue strictement commercial, ne croyaient pas que son talent lui conférât le droit de ne pas s’acquitter vis-à-vis de ses créanciers. Joignez-y son humeur casanière, son caractère un peu ombrageux, ses goûts et sa manière de vivre, qui, aux yeux des gens corrects, passaient pour des excentricités, enfin la nature même de son talent et son dédain pour le genre de peinture qui tendait de plus en plus à prévaloir autour de lui. Il n’en fallait pas tant pour expliquer des disgrâces qui, à distance, nous paraissent incompréhensibles, notre admiration pour son génie nous poussant à charger ses contemporains de responsabilités que seul il doit encourir. Peut-être même, à le bien prendre, a-t-il mieux valu pour lui-même que, curieux comme il l’était, toujours disposé à augmenter ses collections, ses manies lussent un peu tenues en bride. Obligé, après la vente de ses biens, de se replier sur lui-même, il allait, dans l’austère nudité de son atelier, mettre un peu moins à contribution les oripeaux et les turqueries auxquels il s’était complu jusque-là, viser de plus en plus à l’expression des sentimens et atteindre dans ses derniers ouvrages une élévation qui leur assure un prix inestimable. Il n’est que juste de reconnaître, à son honneur, qu’en dépit des épreuves et des tristesses qui accablèrent la fin de sa vie, son énergie et son opiniâtreté au travail demeurèrent entières, et que, par ce côté, du moins, il est resté profondément Hollandais.

Grâce à lui et à quelques-uns des maîtres que nous avons déjà cités, — et, entre tous, il convient de nommer Ruisdael, dont la destinée, aussi douloureuse que celle de Rembrandt, fut certainement encore plus imméritée, — aucune gloire n’aura manqué à