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l’État vient leur dire qu’ils sont tenus d’exploiter, comme condition de leur concession, il usurpe sur les attributions du véritable vendeur, le propriétaire foncier, — qui seul pourrait rappeler son acquéreur à l’exécution du contrat. Quant aux intérêts publics, nous ne voyons pas ce qu’ils ont à faire avec la déchéance. Pour les exploitations mal conduites, l’interdiction d’exploiter suffit, sans préjudice des travaux que le préfet peut, ici comme partout ailleurs, faire exécuter d’office, en cas de péril imminent. Pour les exploitations abandonnées, on n’aperçoit pas mieux les motifs particuliers qui feraient à l’administration un devoir de pousser à la reprise du travail. Il importe, sans doute, que les richesses minérales ne restent pas enfouies dans le sol, mais il importe aussi que nos vignobles détruits par le phylloxéra soient replantés, que les terres arables ne restent pas à l’abandon. Dans cette voie, la dépossession des viticulteurs négligens de la Gironde et de l’Hérault, des agriculteurs de l’Aisne et du Nord, s’imposerait à courte échéance ; l’avenir de la propriété territoriale est donc solidaire de celui des concessions.

L’imprudente innovation du législateur de 1838 portait en germe toutes ces conséquences ; si le mal n’a pas été plus grand, on le doit à l’excellent esprit, a la haute intégrité du corps national des Mines[1]. Le merveilleux instrument de tyrannie ou de vengeances personnelles, — le jour où il tomberait entre des mains moins désintéressées, — que cette menace d’éviction, ce droit d’exécution sommaire indéfiniment suspendu sur la tête des exploitans, avec l’injonction vague de travailler sans interruption, malgré les crises commerciales, malgré les grèves dont il est toujours facile, avec un peu de mauvais vouloir, d’attribuer la responsabilité à la direction de l’entreprise !

Bien loin de multiplier les cas de déchéance, le mieux serait de les faire disparaître. Toute atteinte à la stabilité de la propriété souterraine rejaillit non-seulement sur la production, mais sur la condition de l’ouvrier mineur, dont le sort reste et restera lié, quoi qu’on fasse, à la prospérité de la mine. Il faut au travail souterrain la foi robuste qui transporte les montagnes ; il y faut aussi les capitaux qui les percent, et le crédit est sujet à prendre facilement de l’ombrage : les clauses élastiques, les pouvoirs discrétionnaires, — l’inconnu ne lui dit rien qui vaille ; aux réformes les plus rationnelles, il préférera le statu quo, quand elles devront se traduire par des mesures radicales. Et nous-même,

  1. Jusqu’à ce jour, l’administration n’a prononcé la déchéance que dans quelques cas d’abandon volontaire de concessions devenues improductives.