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vivement encore l’urgence et la nécessité. Déjà en 1867, M. Renan avait écrit : « C’est l’université qui fait l’école. On a dit que ce qui a vaincu à Sadowa, c’est l’instituteur primaire. Non, ce qui a vaincu à Sadowa, c’est la science germanique. » Après Sedan, M. Renan ne fut plus seul à penser de la sorte. On s’enquit de toutes parts, avec une curiosité passionnée, des universités allemandes, et l’on acquit la conviction que par elles s’était fait l’esprit allemand, et par cet esprit la patrie allemande. Dès lors, la réforme de nos facultés ne fut plus seulement affaire de science ; elle devint question de patriotisme. On comprit que par elle se formerait une des pièces maîtresses de notre nouveau système de défense. Aussi de quel cœur, à partir de ce moment, la réforme est-elle prêchée ! C’est M. Bréal écrivant sous un titre modeste un livre des plus pleins sur notre enseignement public[1] ; c’est Paul Bert, tout à la science et à la patrie, esquissant de son laboratoire de la Sorbonne un projet de loi sur l’enseignement supérieur ; c’est un groupe d’hommes, toujours ardens au progrès : MM. Berthelot, Renan, Boissier, Bersot, Gaston Paris, et d’autres que j’oublie, se réunissant au Collège de France pour méditer un plan général de réformation ; c’est au moment même où s’achève la libération du territoire, M. Jules Simon étalant, à la Sorbonne, devant les Sociétés savantes, les misères persistantes de notre haut enseignement, avec le terme propos d’y porter promptement remède ; c’est enfin une foule d’anonymes qui partout s’animent d’un esprit nouveau, et s’entraînent pour l’œuvre à laquelle ils devront concourir.

Ce fut la dernière période de l’incubation. L’éclosion tarda quelque temps encore. Pour faire œuvre sérieuse, il fallait des millions, et ceux qu’on avait allaient au plus pressé, à la rançon de guerre, à la libération du territoire, à la réfection du matériel militaire. En 1871, le budget des facultés était de 4,300,000 francs ; en 1873, il n’était encore que de 4,444,921. Le gouvernement y avait demandé, pour 1874, une augmentation de 1,100,000 francs ; il n’en fut accordé que 400,000. C’est seulement à partir de 1877 que la marche en avant s’accélère. Le budget des facultés avait été de 5,124,581 francs en 1875 ; il passa tout à coup à 7,799,180 en 1877. Dans l’intervalle, la loi de 1875, proclamant la liberté de l’enseignement supérieur, avait enjoint au gouvernement de présenter, dans le délai d’un an, un projet de loi « ayant pour objet d’introduire dans l’enseignement supérieur de l’État les améliorations reconnues nécessaires. » La lettre de cette prescription fut lettre morte. M. Waddington

  1. Quelques mots sur l’instruction publique en France, 1872.