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on l’a dit à Sofia, pour assurer la couronne bulgare au prince Ferdinand de Cobourg, au risque de mettre le feu à l’Europe.

Comme s’il n’y avait pas assez de questions pour occuper et agiter l’Europe, les plus grandes puissances ont aujourd’hui une passion nouvelle : elles ont la passion, la fièvre des expéditions ou des acquisitions lointaines, des conquêtes en pays inconnu. C’est à qui arrivera le premier, à qui plantera le premier son drapeau sur un territoire plus ou moins inexploré, surtout en Afrique. On va à l’aventure, et il en résulte des conflits imprévus, quoique souvent inévitables, comme celui qui vient d’éclater entre le Portugal et l’Angleterre au sujet des territoires qui avoisinent la vieille colonie portugaise de Mozambique, qui se déroulent sur les deux rives du Zambèze, jusque vers le lac Nyassa. La compagnie anglaise du « Sud africain » a jeté son dévolu sur ces territoires ; elle prétend avoir des traités de cession des chefs indigènes ; elle a enfin obtenu récemment une charte de la reine qui consacre ses droits, trace les limites de cet empire du Zambèze, fixe les conditions de l’établissement nouveau. Au fond, à en juger par cette charte même la compagnie du Sud africain n’est visiblement que le prête-nom du gouvernement anglais, qui se réserve d’entrer directement en possession quand il le voudra. Malheureusement, cette tentative s’est aussitôt heurtée contre les susceptibilités et les prétentions portugaises. Le gouvernement de Lisbonne, sans perdre un instant, s’est hâté de faire acte de souveraineté. Il a réorganisé par un décret ces régions du Zambèze ; il a même envoyé une petite expédition pour faire flotter partout le drapeau portugais. Bref, il a opposé son droit aux prétentions anglaises. Et voilà, sinon la guerre, heureusement du moins une querelle allumée ! Elle est assez vive depuis quelques semaines, et les journaux anglais traitent rudement ce malheureux petit Portugal, sans craindre de pousser leur gouvernement à employer la force s’il le faut. Le cabinet britannique s’est borné jusqu’ici à réclamer contre les actes du gouvernement de Lisbonne. Il invoque contre le Portugal la condition d’une « occupation effective » imposée par le congrès de Berlin, il prétend que le Portugal n’occupait pas ces contrées. Lord Salisbury a protesté ; le ministre des affaires étrangères de Lisbonne, M. Barros Gomes, a protesté à son tour par une note savante, serrée, décisive, en même temps que très mesurée Il démontre que c’est le Portugal qui a découvert le pays, qui a’ acquis l’ancien empire du Monomolapa, qui n’a cessé de régner sur ces régions du Zambèze. C’est, entre le Portugal et l’Angleterre, le renouvellement du conflit qui s’est élevé il y a quelques années, entre l’Espagne et l’Allemagne, au sujet des Carolines. Tout finira sans doute comme alors, par quelque médiation, par quelque transaction qui n’est peut-être pas trop difficile dans des contrées si vastes et si peu connues.