Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— « Quand vient la nuit, le vent d’automne, dans les campagnes, fait sentir sa fraîcheur : la grue sauvage répand ses cris. »


M. de Rosny, qui a traduit ces poèmes, nous informe qu’un des procédés préférés des poètes japonais consiste « à présenter dans un premier vers une succession de mots qui font image aux yeux et préparent l’esprit à l’idée fondamentale exprimée dans le second vers. » Exemple :


— « Longue comme les pennes abaissées du faisan des chaînes de montagnes, — cette longue nuit, dormirai-je solitaire ? »


Mais plus instructive encore que la littérature proprement dite, l’œuvre des philosophes et des théologiens japonais nous éclaire sur la faiblesse de raisonnement et la vivacité d’imagination de ce peuple d’enfans. On ne peut concevoir une absence si complète de suite logique dans les déductions, une préoccupation si exclusive du fait concret et de l’image précise. Les plus désordonnés de nos poètes romantiques ont mis au service des vérités morales plus d’argumens et moins d’images que l’auteur du Kiu-o-Dowa, recueil classique de sermons, le chef-d’œuvre du genre[1]. A chaque phrase, une nouvelle comparaison surgit, bientôt suivie d’une autre, qui amène à son tour une longue anecdote ; sans cesse l’auteur oublie son raisonnement, se met à développer l’image qui s’offre à lui, insistant sur les moindres détails de couleur, de forme, de provenance, et il n’est pas rare qu’il arrive à en tirer une conclusion tout autre que celle qu’il avait d’abord paru vouloir y chercher.


II

A une race ainsi douée, il ne faut point demander de grands philosophes, ni même de grands écrivains. Mais aucune race, en revanche, n’est mieux faite pour produire des peintres, et il est sûr que les qualités purement visuelles du peintre, la netteté du coup d’œil, la force de l’impression, l’amour passionné de la forme et de la couleur se rencontrent chez le plus humble artisan japonais à un degré aussi haut que chez les maîtres les plus habiles de la peinture européenne.

Mais la peinture est un art, et requiert de ceux qui la pratiquent autre chose encore que ces qualités visuelles. Aucun peintre n’est grand s’il n’a pas au fond de lui-même une théorie esthétique, s’il

  1. Traduit en anglais par M. Mitford.