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heure, et ses maîtres avaient dû le chasser de l’école. Alors, il s’en alla rôder par les campagnes, vivant dans la société des mendiant et des saltimbanques, jusqu’à ce qu’enfin l’empereur le chassât du Japon, pour le punir d’avoir représenté sa maîtresse favorite au milieu des courtisanes du Yoshiwara. L’œuvre d’Itcho, malheureusement, ne nous est guère connue que par des reproductions gravées ; mais ces gravures suffisent pour nous donner l’idée des qualités toutes nouvelles qu’il a introduites dans l’art de son pays. Lui aussi paraît avoir voulu reprendre les traditions d’une école ancienne, l’école de Toba, qui, au XVIIIe siècle, avait produit d’innombrables dessins comiques et fantastiques, d’un mouvement forcené. Comme les Toba, Itcho a déployé une verve caricaturale prodigieuse ; mieux qu’eux, il a su rendre les secrets du mouvement ; et il a été, de plus, un véritable artiste, savant, varié, épris de la vérité et de l’expression.

Son contemporain Moronobou était un homme d’un talent plus concentré, observateur infatigable de la vie réelle, très préoccupé de concilier la justesse de la représentation avec la noblesse et la mesure qui conviennent aux œuvres d’art. Ses livres illustrés, les premiers du genre, et quelques-uns de ses kakémonos présentent d’admirables qualités de composition et de dessin. Mais, par cela même qu’il n’osait encore se séparer des vieilles traditions, il a mis dans ses œuvres une réserve toute classique qui va disparaître de plus en plus chez ses successeurs.

Ceux-ci, ce sont tous ces maîtres que la gravure nous a rendus-familiers, et qui incarnent, pour la plupart d’entre nous, la peinture japonaise. Les nommer tous serait impossible, et cependant chacun a eu pour le distinguer des autres sa petite part d’originalité. Leurs œuvres, peintes ou gravées, séduisent au premier abord par une variété de sujets et d’attitudes que l’on chercherait vainement dans les ouvrages des autres écoles. Plusieurs ont créé des types vraiment délicieux, soit qu’ils aient peint, comme Soukénobou, de douces jeunes femmes au visage rond et jovial, ou, comme Harounobou, d’élégantes beautés parées de costumes somptueux, ou bien encore, comme l’admirable Outamaro, de longues figures d’une grâce onduleuse et provocante. D’autres ont été des coloristes remarquables, notamment les Torii, Kiyonaga le paysagiste, Toyokouni, et ce Shunsho que les Japonais mettent à l’égal des plus grands de leurs peintres. Mais le talent de ces hommes n’empêche pas l’école vulgaire, dans son ensemble, de mériter en partie le dédain que lui témoignent encore aujourd’hui les connaisseurs de son pays. Les peintures et les gravures de l’Ukiyo-yé ne sont jamais que des improvisations : il leur manque ce qui fait la beauté des