Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

achevaient d’éloigner d’elles la faveur publique. Tout le monde s’en plaignait depuis longtemps, et, dans la plupart des cahiers qui furent rédigés en 1789, on demande qu’elles soient profondément modifiées. Aussi furent-elles parmi les premières victimes de la révolution qui commençait. Quoiqu’elles n’aient été officiellement supprimées que par la Convention, on peut dire que l’Assemblée nationale les frappa au cœur, quand elle décréta « qu’il serait créé et organisé une instruction publique commune à tous les citoyens. » C’était proclamer que cette instruction publique n’existait pas, puisqu’on voulait l’instituer.

L’arrêt était sévère ; peut-on dire qu’il fut injuste ? Je renvoie ceux qui voudraient le savoir à l’excellent livre où M. Liard a étudié l’enseignement supérieur en France depuis 1789[1]. Il a fait une enquête exacte, minutieuse, complète, sur des pièces officielles, il a compulsé les registres et les livres de compte des universités, et ces documens lui ont montré que, lorsqu’on les a détruites, elles étaient presque à moitié mortes, et qu’on n’a guère fait que les achever. Plusieurs d’entre elles n’avaient pas de domicile qui leur appartînt et elles étaient forcées d’accepter l’hospitalité de quelque couvent qui voulait bien les recevoir. Chez les autres, les bâtimens étaient insuffisans et tombaient en ruines. L’université d’Orléans, qui fut longtemps la première de France pour l’étude du droit, possédait, pour tout refuge, « une vaste grange, avec cinq rangées de bancs, et une chaire au milieu. » L’école de médecine de Montpellier, la plus célèbre du royaume, n’avait pas de bibliothèque, et les élèves étaient réduits à louer au bedeau les livres dont ils avaient besoin. A Bordeaux, la bibliothèque de l’école de droit se composait « d’un pupitre en forme d’armoire, qui contenait un Corpus juris. » Passe encore pour les installations misérables ; les maîtres illustres du moyen âge enseignaient souvent dans des salles humides et obscures à des écoliers étendus sur la paille. Mais les professeurs du XVIIIe siècle ne ressemblaient guère à leurs grands devanciers. En général, leur zèle s’était fort relâché. Dans beaucoup de facultés l’enseignement n’existait plus que de nom. Il s’était produit depuis longtemps des scandales inouïs qu’on aurait peine à croire s’ils n’étaient constatés par des actes officiels. « La Faculté de droit canon de Paris n’avait plus qu’un professeur, qui, pour garder tous les revenus, se refusait obstinément à se donner des collègues. Celle de Bordeaux était aussi réduite à un seul maître, qui faisait à lui seul l’office du corps entier et « baillait des lettres de gradués sans voir les candidats, qui ne venaient même plus

  1. Louis Liard. L’enseignement supérieur en France, 1789-1889.