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Il continuait de la regarder d’une façon étrange. A la fin il sourit.

— Je te prenais, dit-il, pour un ange. C’était un beau rêve.

— Puis-je vous soulager ? demanda Véra. A-t-on pansé votre blessure ?

— Il n’y a rien à faire pour moi ; le médecin l’a déclaré. Il ne peut s’y tromper. Mais si vous voulez bien écrire quelques mots pour moi, chez moi.

— A votre mère ?

— Oui.

Véra sortit, alla prendre du papier, un crayon et une enveloppe dans son petit coffret d’ambulance et revint en toute hâte auprès de l’officier. Elle se mit à genoux et écrivit sous sa dictée. Quand il eut fini, il voulut signer lui-même, et il traça péniblement d’une main toute tremblante les noms de Léon Kirilovitch Mélinof.

Véra plaça la lettre dans son corsage et resta à genoux aux côtés du blessé. Les deux jeunes gens se regardaient avidement en silence. Tout à coup, d’un mouvement brusque, Véra saisit les deux mains de Mélinof en s’écriant : — Non ! vous ne mourrez pas ! Vous ne devez pas mourir !

— Hélas ! il n’est que trop vrai que je vais mourir. Oui, je sens que la mort approche…

— Ce n’est que l’effet de la fièvre…

— Non, je meurs ; c’était sans doute écrit… que la volonté de Dieu soit faite ! .. Mais mourir si jeune ! ., s’en aller si tôt ! ., pour toujours ! .. Ce ne serait rien, mais perdre ce qu’on vient à peine d’entrevoir… ce qui semblait vous promettre tant de bonheur ! ..

— Que voulez-vous dire ?

— Mourir sans avoir aimé ! .. sans avoir été aimé ! ., n’est-ce pas ce qu’il y a de plus triste au monde !

— Croyez-moi, Léon Kirilovitch, vous vivrez, et, sans doute, l’amour…

— Pourquoi chercher à me tromper ?

Ils se turent tous deux quelque temps, puis le malheureux jeune homme tourna sa belle figure vers le mur et se mit à pleurer doucement. Véra le regardait avec anxiété. Elle voyait la poitrine du mourant se soulever violemment, et il lui semblait entendre les derniers battemens de son cœur. Alors, brusquement, presque en colère, elle se leva et sortit. Elle alla chercher Kroubine et le ramena auprès du blessé. Quand le médecin se retira après l’avoir examiné de nouveau, Véra lui dit tout bas, près de la porte :

— Ainsi, pas d’espoir ?