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caractère presque viril de la vierge chasseresse, menant une vie active et pure sur les hautes cimes, où elle se rencontre avec les oiseaux de proie. L’Oréade a, en effet, près d’elle, un aigle, aux ailes éployées, regardant dans la plaine. C’est une fille bien découplée, au buste long et mince, avec une gorge à peine saillante, des jambes fortes et nerveuses, qui se sont développées par la marche au détriment des parties supérieures. Dans la tête aussi le sculpteur a voulu marquer à la fois la force, la chasteté, la fierté ; M. Mathet n’est point un artiste banal, nous l’avions déjà remarqué en 1888, lorsqu’il obtint sa première médaille avec sa jolie figure de l’Hésitation. Là aussi l’on sentait que, d’un bout à l’autre, le sculpteur, en étudiant son modèle, avait toujours poursuivi une même pensée, consultant avec conscience la nature, mais dans une intention très nette, celle de rendre une sensation et un sentiment particuliers. De pareilles recherches peuvent être accompagnées d’inégalités et d’incertitudes dans l’exécution plus que lorsqu’on s’en tient à la bonne reproduction des types déjà fixés ; mais c’est par ces recherches, honnêtement poursuivies, qu’on renouvelle les sujets les plus rebattus et qu’on dégage sa propre originalité. Avec M. Mathet, le jury a récompensé son voisin, M. Rambaud, l’auteur d’une Muse des bois, et c’était justice. Cette jeune fille se distingue, moins que l’Oréade, de ses aînées ; elle est d’une beauté correcte que n’a point altérée son existence campagnarde, mais d’une beauté franche et jeune, sans prétention ni coquetterie, qui fait plaisir à voir. Elle approche de ses lèvres une syrinx ; cet instrument naïf suffit à une muse rustique et peu lettrée ; à ses pieds, un oiseau chante sur une branche fleurie. C’est encore un bon ouvrage, délicat et soigné.

Les deux jeunes sculpteurs qui se sont disputé le prix du Salon, MM. Charpentier et Gauquié, affichent le goût d’une beauté plus forte, et plus ample, chez les femmes aussi bien que chez les hommes. On pourrait même trouver que la Chanson de M. Charpentier est caractérisée par des formes trop puissantes pour le nom léger qu’elle porte. Mais, au lieu de la Chanson, appelons-la le Chant, et nous trouverons que c’est une très estimable figure, ne datant pas, en somme, et n’ayant rien de particulièrement moderne. Bien qu’elle marche sur un tambourin et une folie, et qu’elle porte à l’arrière-bras un bracelet de grelots, c’est plutôt une bacchante des montagnes qu’une chanteuse de casino ; ce qui sort de ses lèvres joyeuses, c’est plutôt un hymne qu’un couplet gaillard. Dans le modelé des membres, l’artiste a accentué cette apparence robuste ; on ne saurait lui en faire un crime. M. Charpentier, du reste, expose à quelques pas de là, un groupe, les Lutteurs, dans lequel son