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ongles. C’est de la sculpture un peu sommaire, mais forte et joyeuse, bien balancée, bien équilibrée, vivante et décorative, dans le goût du XVIIe siècle. La Nymphe lutinant un Dauphin, par M. Larroux, est de la même famille ; ce n’est qu’une suivante de Thétis, une bonne grosse commère, joviale et commune ; la plaisanterie qu’elle fait en fourrant ses doigts dans les ouïes du monstre patient qui veut bien la porter sur son des est aussi une grosse plaisanterie ; toutefois, le groupe est amusant et forme une bonne masse décorative. On sent des préoccupations plus classiques, moins de diable au corps et plus d’expérience, dans une autre composition bachique, la Caresse, de M. Ludovic Durand. Il s’agit là d’une bacchante amoureuse qui, à défaut de mieux, enguirlande le cou d’une tête sculptée de satyre grimaçant et riant au-dessus de son piédestal. La belle s’adosse à la gaine de marbre, levant les bras et retournant la tête. C’est encore une beauté un peu forte, mais correctement et largement modelée. De ce côté, du reste, le vent est aux déesses presque mûres, plutôt épaisses que sveltes, plutôt pesantes que légères, même lorsqu’elles devraient être vierges ou le paraître. N’est-ce pas, dans une certaine mesure, le défaut de la Léda de M. Roulleau, un bon travail, cependant, où l’auteur s’est inspiré, pour l’attitude et pour l’expression de tête, de Léonard et de Baudry. M. Roulleau a tiré très bon parti, pour l’équilibre décoratif, du grand cygne qui allonge son cou sur la hanche de la jeune femme et qui s’apprête à l’envelopper de ses larges ailes. La Léda elle-même, dans son ensemble, se présente agréablement ; et l’exécution de ce marbre serait presque partout satisfaisante, n’était un contraste assez marqué entre le développement robuste du torse et des jambes et la gracilité un peu maigre et molle des bras et des mains.

L’une des grandes difficultés de la statuaire, c’est de garder, d’un bout à l’autre, dans une figure dont l’exécution exige des mois et des années de travail et pour laquelle il faut souvent consulter des modèles différens, cette unité dans le rendu qui est la marque des œuvres parfaites. Quand cette unité manque dans un modèle en plâtre, ce n’est que demi-mal, parce que l’artiste peut encore remédier à ce défaut avant la fonte ou la mise au point ; quand l’erreur est fixée dans le marbre, elle est irréparable. À ce point de vue, l’exposition au Salon est toujours, pour les modèles, une bonne épreuve, qui permet aux artistes consciencieux de s’examiner, de se corriger, de donner, par une révision rapide, plus d’aisance et d’harmonie, à des figures dans lesquelles on sentait trop encore l’effort d’une composition laborieuse ou la juxtaposition mal dissimulée d’élémens divers. Parmi les sculpteurs