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occupation la plus glorieuse, mais dans leur passe-temps le plus agréable, nous ne tarderons pas à varier infiniment les attitudes jusqu’à présent si monotones de tous les grands artistes ; Ingres, sur son piédestal, nous jouera du violon, Horace Vernet sera habillé en maître d’escrime, Rossini, devant un fourneau, exécutera un plat de sa façon, tel autre nous montrera son adresse au bilboquet et tel autre pincera de la guitare. L’enseignement de l’histoire par la statuaire deviendra ainsi un enseignement fort divertissant, mais qui aura besoin, plus que jamais, de nombreux commentaires.

En attendant que l’exemple donné porte ses fruits, il est juste de déclarer que M. Frémiet, suivant sa coutume, s’est tiré le plus spirituellement du monde de cette aventure. Si ce cavalier empanaché, raide et empesé sur sa haute selle brodée, n’éveille pas en nous forcément, au premier ni même au second abord, l’idée d’un peintre, d’un peintre coloriste et d’un peintre de portraits, il évoque du moins, avec une puissance singulière, l’idée des choses et des hommes parmi lesquels a vécu ce peintre. L’allure ramassée du cheval vigoureux et court, l’attitude compassée et correcte du noble courtisan tenant à la main une tige de laurier, son large feutre surchargé de plumes, son épaisse chevelure, sa haute collerette empesée, son manteau court battant son dos, ses vastes manches pendantes et chargées de pendeloques, tout évoque l’image de l’Espagne sous Philippe IV. Pour compléter la résurrection, il ne manque que la polychromie. Cette statue devrait être peinte, car c’est en peintre, autant qu’en sculpteur, que M. Frémiet l’a conçue et exécutée. Tous les traits en sont pris à l’œuvre peinte de Vélasquez ; il n’est pas jusqu’aux nœuds de rubans, ces jolis nœuds noirs et roses, si joliment attachés à la robe grise de l’infante dans le tableau du Louvre, que nous ne retrouvions à la crinière du cheval et au-dessus de la botte du cavalier. C’est une transposition hardie d’un art dans l’autre faite avec une habileté, une conscience, une verve vraiment rares. Comme Philippe IV serait heureux d’avoir une pareille statue ! mais le pauvre sire a l’habitude de semblables déconvenues ; c’était son premier ministre qui régnait à sa place, c’est son premier peintre qui enfourche son cheval.

Auprès de ce peintre épanoui dans sa belle santé et dans son beau costume, auprès de ce chevaucheur magnifique et triomphant, tous les autres héros, militaires ou civils, qui s’entremêlent, dans le jardin, aux Vénus et aux Lédas, semblent quelque peu bourgeois, déclamatoires ou piteux. Il y a cependant parmi eux quelques honnêtes gens très corrects de costume et d’allure, très corrects aussi d’exécution, tels que le Gay-Lussac, par M. Aimé Millet ; le Méhul, par M. Croisy ; le Du Guesclin, par M. Hector Lemaire, mais, comme on