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dans les affaires lui étaient suspects, des intrigans de bas étage, des personnages interlopes lui semblaient plus dignes de sa confiance. Il avait un faible pour eux ; il les recevait par la petite porte, à l’insu de ses ministres. En 1849, il remit le commandement de son armée à un médiocre aventurier, qui petit, camus, laid comme un singe, n’osait se montrer aux soldats. Du même coup, il confiait un poste d’honneur au misérable Ramorino ; à l’heure où Radetsky franchira le Tessin, ce galant homme sera à deux lieues de là, banquetant en joyeuse compagnie.

Charles-Albert vivait d’expédiens, au jour le jour, et il comptait sur ses bienheureux patrons, sur les saints de la maison de Savoie, pour réparer ses fautes. Ils ne l’ont pas trahi, mais ils ne l’ont guère secouru ; ils ne secourent que ceux qui s’aident. D’année en année, il avait eu plus de penchant à l’ascétisme. Il se levait avant l’aube, demeurait une heure agenouillé devant son crucifix ; puis il entendait une messe, quelquefois deux, après quoi il mangeait un morceau de pain et buvait un verre d’eau glacée. Sa piété, devenue sincère, était sans doute fort respectable ; mais ce n’était pas celle qui convient à un roi. Si elle l’aida à bien mourir, elle l’avait empêché de vivre. De quoi lui servirent, pendant la campagne de Lombardie, ses macérations et ses jeûnes ? Après la prise de Peschiera, quand tous les instans étaient précieux et quoi qu’en put dire son état-major, il célébra la fête de l’Ascension par d’interminables Te Deum, dont Radetsky profita pour se porter sur Legnago et donner la main au général Welden, qui lui amenait des renforts. À quelque temps de là, à Crémone, il passa près de douze heures en prières. Après comme avant, l’esprit de conseil et de force lui manqua.

Le marquis Costa, qui lui reproche sa dévotion romanesque et la traite « d’ataxie religieuse, » l’impute à sa première éducation. Il prétend que le chef du pensionnat genevois où il n’avait que la moitié d’un lit, M. Vaucher, « était fort dévot à Jean-Jacques et pétrissait de sentimentalité l’âme de ses élèves, que Charles-Albert, par la très grande faute de sa mère, a porté l’estampille de Rousseau. » Je suis tenté de croire que M. Vaucher était médiocrement sentimental, et au surplus, qu’a donc à voir Rousseau dans cette affaire ? La religion raisonnée et raisonneuse du Vicaire savoyard n’était pas celle d’un roi qui prit si souvent le signe de la bête pour le signe de l’ange. Quand on se défie également de soi-même et des autres, il ne reste plus qu’à s’en remettre au ciel. Charles-Albert était un de ces hommes à qui leurs actions font peur. Son abandonnement aux volontés divines lui procurait une sorte d’irresponsabilité qui mettait sa faiblesse à couvert et son âme en repos.

Quel que fût l’événement, il disait à Dieu et à ses saints : « C’est vous