Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plément de gendarmerie ; elle n’a pas été plus heureuse et ces braves gendarmes ont été obligés de battre en retraite. Alors la scène prend des proportions épiques ! Secrétaire général de la préfecture, sous-préfet de Langres, inspecteur d’académie, inspecteur primaire, juge de paix sont arrivés sur le champ de bataille avec quatre ou cinq brigades de gendarmerie à pied et à cheval sous le commandement d’un capitaine. Cette expédition un peu étrange a rencontré encore devant elle la population tout entière rassemblée au nombre de sept ou huit cents personnes autour de l’école des sœurs, agitée et résolue à opposer une résistance passive, protestant sans armes, sans jeter même une pierre. Il a fallu dégainer, piétiner femmes et enfans, — faire donner la cavalerie pour pénétrer dans cette foule ! La scène est complète : heureusement la victoire est restée à la force publique ! C’est là, en définitive, l’incident qui a été exposé, discuté l’autre jour avec autant de mesure que de netteté par M. du Breuil de Saint-Germain, par M. l’évêque d’Angers devant la chambre, — et M. le ministre de l’intérieur, en réduisant avec sa bonhomie sceptique les proportions de l’événement, n’a pas pu réussir à dissimuler ce qu’il y a de violent, de démesuré dans une exécution de ce genre.

Il y a dans cette triste affaire deux choses assez distinctes, quoiqu’elles soient liées l’une à l’autre ; il y a une question de légalité et une question de fait. — C’est la loi, dit-on, et force doit rester à la loi ! D’abord, avant d’admettre ces rigueurs inexorables pour l’honneur de la légalité dans un pauvre et paisible village, il serait curieux de savoir si on montre les mêmes sévérités partout, si avec d’autres conseils municipaux moins modestes on ne se croit pas obligé ou autorisé à fermer les yeux, à employer toute sorte de ménagemens et de diplomatie. Est-ce bien d’ailleurs la loi qu’on a exécutée à Vicq ? C’est là justement le point délicat et fort peu clair. — C’est peut-être la loi si l’on veut, si l’on interroge un seul article, celui qui impose la laïcisation immédiate d’une école où l’institutrice congréganiste vient à disparaître. Ce n’est plus la loi ou c’est une nuance différente si l’on consulte un autre article, celui qui dit que « dans le cas où la laïcisation rendrait nécessaire l’acquisition ou la construction d’une maison d’école, — c’est précisément le cas de Vicq, — il sera sursis jusqu’à l’établissement de l’école. » Y a-t-il contradiction entre ces deux articles ? Cela se peut, ce serait l’histoire de bien d’autres lois bâclées depuis quelques années, uniquement pour satisfaire des passions de parti. Cela signifierait dans tous les cas qu’il y a deux interprétations possibles, — l’une violente, excessive, inexorable, l’autre libérale, équitable, modérée, — et qu’on a choisi l’interprétation la plus dure, la plus rigoureuse. On a préféré ce qui plaisait aux radicaux, sans tenir compte des vœux d’une population, des délibérations d’un conseil municipal, des intérêts moraux et financiers d’une commune. Et c’est pour une loi douteuse ou confuse,