Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/281

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hallali! 275 direction de la porte, puis s’en approcha, souleva la portière, s’assura que le verrou était mis ou le tour de clef donné. Et, re- venant au milieu de la chambre, devant une de ces immenses ar- moires à trois glaces qui font les délices des femmes., elle défit son corsage... Ici un scrupule honorable, quoique naturel, s’empara de M. Real. Il était venu pour surprendre un secret dont peut-être dépendaient son avenir et son honneur; il n’était pas venu pour abuser, en vrai polisson, de la distraction d’une femme, d’une jeune fille qu’il aimait, et qui avait oublié de fermer ses persiennes avant de se dévêtir. Puisque Marie-Madeleine était seule, puisqu’elle ne parais- sait attendre personne, il n’avait plus qu’à se retirer. Et, positive- ment, il allait le faire, s’il n’eût observé tout à coup un geste d’in- quiétude ou d’elïroi très apparemment provoqué chez la jeune fille par un bruit venant de la porte. En efïet, elle s’était retournée de ce côté et avait allongé son bras vers le corsage dont elle avait eu tout juste le temps de se séparer. — Frantz devait la revoir souvent dans cette attitude de nymphe surprise: il ne devait plus oublier ce bras exquis, si gra- cieusement étendu, puis replié sur la poitrine, ces épaules blan- ches et rondes, ce buste souple, ces hanches qui saillaient nette- ment sous la jupe, toute cette silhouette féminine, si jeune et si parfaite, à peine dévêtue; chaste, mais affolante... Prompte et agitée, la jeune fille s’était déjà rhabillée; elle avait même déjà replacé sur ses épaules sa sortie de bal. Elle écoulait. Sans doute, il y eut un nouveau bruit à la porte ou un appel ; car, après avoir promené tout alentour un regard désespéré, plein d’une angoisse indicible, mais plus navre peut-être qu’effrayé, Marie-Madeleine alla soulever la portière pour mieux entendre. Elle attendit, écoutant toujours, regarda une dernière fois autour d’elle, et enfin ouvrit sa porte, comme en désespoir de cause. M. de Buttencourt, lui aussi, avait conservé sa tenue de soirée. Il était en habit rouge, avec des fleurs à la boutonnière, très beau ainsi, mais pâle comme un mort. Tout de suite, une discussion s’engagea, dont il était aisé de suivre les péripéties, d’après les jeux de physionomie des person- nages. Il y eut d’abord des reproches émanant de M. de Butten- court, mais des reproches formulés manifestement avec douceur, car le baron ne faisait aucun geste et son regard était plus sup- pliant que courroucé. Quant à Marie-Madeleine, elle l’écoutait avec une résignation douloureuse, sans lui répondre, sans le regarder. C’était une statue du Désespoir. Mais bientôt, devant cette attitude et ce mutisme, les reproches du baron s’enflèrent, sans doute, car Frantz le vit sortir de son immobilité première pour s’emparer