Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/285

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hallali! 2 79 rait pas deux sur mille pour s’en abstenir, le cas échéant, c’est-à-dire l’occasion étant belle. Après... Après, c’avait été, du moins pour partie, l’éternelle et banale histoire: sermens trahis, abandon intéressé, peut-être im- posé, résignation et silence de la victime paralysée par la honte ou par des scrupules malencontreux, mariage du séducteur. Mais la courte intrigue avait laissé à celui-ci un souvenir enchanté, qui, un instant engourdi, ne devait pas tarder à se réveiller dans son âme, — dans ses sens surtout. — M. de Buttencourt n’aimait pas sa femme ; ne vivant pas habituellement à Paris, il manquait de ces distractions qui rendent léger à tant d’hommes de son monde le joug matrimonial. Le souvenir se fit obsession. Marie-Madeleine fut, dès lors, en butte à d’odieuses sollicitations. Elle avait beau se tenir à l’écart, résignée, le baron venait la relancer, ou lui écri- vait lettre sur lettre en s’accusant d’une inguérissable folie. Enfin, il eut la suprême habileté et la suprême indélicatesse d’appeler sa femme à la rescousse. Quelle raison pouvait donner Marie- Madeleine de cette retraite prolongée? N ’aimait-elle plus sa cou- sine? L’avait-on froissée, peinée sans le savoir? Ce fut un siège en règle, entrepris et dirigé non plus par M. de Buttencourt, mais par Hélène. La jeune femme devait triompher là où son mari avait échoué. Les réponses, faciles (quand elles n’étaient point superflues) avec le baron, devenaient, en effet, épineuses ou impossibles avec sa femme, qui ne savait rien et à qui tout devait être caché. Et puis, Marie-Madeleine se figura qu’elle tiendrait aisément en respect l’ar- deur amoureuse d’un homme qui ne lui parlait plus que d’obéis- sance et de soumission, tout en lui déclarant qu’il ne pouvait vivre sans le réconfort de sa présence, où il se plairait à voir l’équivalent d’un pardon. Bref, elle avait fini par céder à tant d’instances, sûre d’elle-même, puisqu’elle n’avait plus pour celui qui l’avait trompée qu’une sorte de mépris indulgent, un dédain profond, que tempé- rait seule sa grande bonté... Quant au reste, Frantz le savait, ou le pouvait aisément deviner. Il y avait longtemps qu’ils s’étaient tus l’un et l’autre ; mais ils semblaient écouter encore l’écho intérieur de leurs paroles. Assis sur un banc de jardin, ils ne sentaient pas les morsures de la bise et oubliaient qu’il y eût au château des gens plus ou moins inté- ressés à pénétrer les motifs de leur intimité soudaine. Le jeune philosophe scrutait les causes profondes de cette chute qui anéan- tissait son rêve persistant et tenace d’amoureuse félicité. Il la comprenait, cette chute, et l’excusait presque. D’office, il se con- stituait l’avocat de cette belle pécheresse, qui n’avait trahi personne et qu’on avait trahie. Avec la connaissance pratique qu’il avait des femmes et l’expérience qu’il avait acquise des singularités de leurs