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avec quatre ou cinq maîtres accessoires : c’est un corps simple et solide, comme l’étaient nos propres collèges vers 1840, avant qu’on eût, par une inspiration déplorable, commencé à séparer les sciences des lettres. Nous avons maintenant, nous, à côte de nos élèves de lettres, des élèves de sciences, des marins, des saint-cyriens, des polytechniciens, des normaliens, des élèves de l’enseignement spécial, tous fascinés d’avance parle but pratique qu’ils poursuivent et profondément indifférens à tout ce qui ne sera pas exigé d’eux. Ce morcellement des études en spécialités, outre qu’il entraîne l’abaissement inévitable des études générales, est ce qu’il y a de plus nuisible aux spécialités mêmes qu’on a en vue.

Tout en demeurant fidèle à la tradition classique, l’Allemagne a voulu éviter les excès où, dans une partie de nos collèges, la culture des facultés de l’esprit pour elles-mêmes avait abouti : nous voulons parler de cette culture purement formelle que les jésuites avaient mise en honneur, et qui exerçait l’esprit sans le nourrir, comme si l’esprit, à l’égal du corps, n’avait pas tout à la fois besoin d’alimens qui accumulent la force vive et d’exercices qui sont l’emploi de cette force. Mais l’Allemagne, en évitant un écueil, s’est heurtée à un autre. Parmi les sciences morales et sociales, elle a donné le premier rang, dans l’éducation, aux sciences historiques et philologiques : elle a versé dans l’érudition. Or, apprendre des faits, des dates et des mots, c’est encore s’arrêter à ce qu’on pourrait appeler le matériel de l’évolution humaine, au lieu de pénétrer jusqu’à l’esprit même des humanités. Séparées des considérations morales, sociales et philosophiques, l’histoire, la géographie, la linguistique, sont encore des sciences matérielles, tout comme la physique ou la géologie. Et elles ont cette infériorité d’être à la fois beaucoup moins scientifiques et beaucoup moins utiles.

En Angleterre, l’école de l’évolution, sortie de l’école utilitaire et trouvant d’ailleurs dans la nation même des traditions d’utilitarisme, s’est laissé séduire au mirage des sciences de la nature et en a voulu faire le fonds de l’instruction. Elle a ainsi opposé, dans la science de l’éducation, le naturalisme à ce qu’on peut appeler l’humanisme. M. Spencer commence son livre sur l’éducation par déclarer qu’en toutes choses le but à atteindre est le savoir, principe dont nous avons vu la fausseté. Aussi, tout le long de son ouvrage, M. Spencer flotte entre l’idéal de l’instruction primaire et celui de l’instruction supérieure, sans avoir même le soupçon de ce qui constitue l’instruction secondaire. Cette idolâtrie des sciences est d’autant plus surprenante que, dans sa sociologie, M. Spencer insiste sur l’impuissance de l’instruction à modifier les individus et