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combinaison des corps, les grandes découvertes comme l’analyse spectrale, leurs conséquences théoriques et pratiques, sociales même, les révolutions opérées dans l’industrie par ces découvertes ; en un mot, des ouvertures en tout sens et des perspectives s’étendant bien au-delà de la description des métaux, des acides ou des sels. De ces deux programmes, lequel sera le plus intéressant pour les jeunes esprits, le plus facile par cela même ? Les vues générales restent plus aisément dans la mémoire que la multiplicité des détails, comme les grands horizons au sortir d’un voyage. En même temps, où sera l’étude la plus fructueuse et la plus éducatrice ? Pour apprécier ce point, le moyen est simple, et on devrait toujours y recourir quand il s’agit de juger un programme. Supposons que l’élève, au sortir des cours, oublie tout le matériel des choses qu’on lui a dites (et c’est ce qui arrive neuf fois sur dix) ; que lui restera-t-il avec les programmes actuels ? Rien, ou à peu près. Que lui restera-t-il avec l’autre programme ? Tout l’esprit des études chimiques, des impressions qui pourront être ineffaçables, une élévation générale de la pensée, enfin une curiosité et un désir de la satisfaire dès que l’occasion se présentera, un respect et un amour de la science. Toutes les formules et toute la nomenclature auront sombré, mais il subsistera un progrès de la pensée et, finalement, une aptitude scientifique toute prête à se manifester, si les circonstances de la vie obligent précisément le jeune homme à apprendre de nouveau et, cette fois, à retenir la science dont il a oublié la lettre et retenu l’esprit. On peut donc dire que la chimie, interprétée d’une certaine manière et enseignée par une certaine méthode, devient une science morale et même sociale au lieu de rester une étude toute matérielle ; elle devient une science humaine au lieu d’être une connaissance d’objets bruts : et c’est ainsi seulement qu’elle pourrait, avec toutes les autres sciences pareillement comprises, obtenir son rang légitime dans les « humanités. » Le but le plus élevé de l’éducation libérale est d’exciter l’admiration ; tout ce qui n’est pas admirable ne doit donc être enseigné aux humanistes qu’à la condition d’être de première nécessité : Πολυμαθία νόον οὐ διδάσϰει (Polumathia noon ou didaskei).

Quelles sont maintenant les sciences nécessaires ? — Il y a des sciences vraiment explicatives, et d’autres qui ne le sont pas ou ne le sont que très imparfaitement. Ainsi les mathématiques et la mécanique sont parfaitement explicatives : leur analyse et leur synthèse vont jusqu’au bout et donnent le sentiment de la nécessité : cela est parce que cela ne peut pas ne pas être. Les effets se voient dans leurs causes, et tout est lumineux, transparent pour l’esprit. La physique, elle aussi, est en grande partie explicative :