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est quelque chose d’imparfait ; il faut qu’il trouve un second pour être heureux. » Pascal tire immédiatement de cette définition de l’amour humain une conséquence intéressante : « L’amour ne consistant que dans un attachement de pensée, il est certain qu’il doit être le même par toute la terre. Il est vrai que, se déterminant autre part que dans la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n’est que dans le corps. »

La fonction de la pensée dans l’amour, le tribut de l’esprit au cœur, préoccupent tout spécialement Pascal ; on serait bien étonné qu’il s’y montrât indifférent. C’est, en effet, d’après sa définition même de la passion, l’esprit qui présente au cœur son objet. On conçoit dès lors que « la netteté de l’esprit cause aussi la netteté de la passion. Un esprit grand et net aime avec ardeur. À mesure qu’on a plus d’esprit, les passions sont plus grandes,… les passions de feu,… car pour les autres elles se mêlent souvent ensemble et causent une confusion très incommode, mais ce n’est jamais dans ceux qui ont de l’esprit. Dans une grande âme tout est grand… Quand on a plus de vue, on aime jusqu’aux moindres choses, ce qui n’est pas possible aux autres. Il faut être bien fin pour remarquer cette différence. » — Il convient de rapprocher de cette observation cette autre pensée de Pascal, qui n’appartient pas au présent discours : « À mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes. » La personne aimée ne ressemble à aucune autre. On la préfère aux autres précisément parce qu’elle en diffère, et l’esprit s’ingénie à découvrir les différences qui justifient la préférence du cœur et constituent l’originalité de cette personne aimée. Mais le cœur, dès qu’il aime, ne permet plus à l’esprit de s’occuper d’autres originalités, d’en apercevoir d’autres ailleurs et de les dégager ; ce qui fait dire à Pascal dans notre discours : « À mesure qu’on a plus d’esprit, l’on trouve plus de beautés originales, mais il ne faut pas être amoureux, car quand l’on aime, l’on n’en trouve qu’une. » — Cette admiration exclusive ne languit pas, grâce à l’activité de l’esprit qu’elle exerce sans cesse : « Le secret d’entretenir une passion, c’est d’occuper toujours l’esprit de son objet. » Et cette occupation fournit à l’amant plus de ressources pour faire sa cour : « Quoique ce soit une même passion, il y faut de la nouveauté ; l’esprit s’y plaît, et qui sait se la procurer sait se faire aimer. » La passion, aiguisée par l’esprit, le stimule à son tour, parce que c’est de lui qu’elle reçoit son objet : « L’amour donne de l’esprit parce qu’il faut de l’adresse pour réussir, pour se renouveler et plaire. Il faut plaire, et on plaît. »