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le type accidentel plus restreint, fourni par la mode et le pays ; enfin le type particulier, très divers, déterminé par le tempérament de l’individu et préféré par lui.

Pascal a donc parfaitement reconnu l’influence du tempérament individuel sur le jugement esthétique, bien qu’il admette que celui-ci ne soit pas uniquement dicté par le premier, que la forme humaine, pour être belle, doive remplir certaines conditions fondamentales dont l’idée, plus ou moins nette, est indépendante du tempérament de chacun. N’est-il pas étrange que, après avoir fait si expressément la part de l’individualité dans sa conception du beau, il en ait totalement méconnu l’importance dans l’œuvre d’art ? Il lui a échappé que, placés devant un même modèle, des artistes différents le jugent de façons différentes, selon leurs tempéramens respectifs, et que le jugement esthétique de chacun dirige son regard ; que son goût fait sa manière de voir. C’est pourtant cette vision propre qui constitue l’originalité de l’artiste et l’intérêt de son œuvre. Aussi ressent-on un désappointement pénible, une vraie blessure en trouvant dans le recueil des Pensées de Pascal cette réflexion singulièrement naïve : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux. » D’abord ne fait pas ressemblant qui veut ; ensuite la communication intime qui s’établit entre l’aptitude de l’artiste à sympathiser et son modèle, pour la recherche des traits caractéristiques de celui-ci ; la sélection de ces traits par le tempérament de l’artiste, tout cela, imprimé dans son œuvre, y est très digne d’attention. Ce n’est pas la ressemblance même qu’on y admire, mais l’interprétation de la nature par un homme.

Nous venons de parler de l’aptitude de l’artiste à sympathiser. Cette faculté est si importante en esthétique que nous ne pouvons nous dispenser d’examiner si Pascal s’en est occupé. Rappelons en quoi elle consiste. La physionomie d’un enfant réfléchit celle des gens qu’il voit converser avec animation, ou même exprime les sentimens décrits dans un récit. Cette mimique involontaire est vive chez l’enfant, atténuée par les convenances sociales chez l’adulte ; elle est reflet de la sympathie qui nous fait, en quelque sorte, devenir autrui en le substituant à nous-même dans notre propre conscience. Sans cette aptitude, la physionomie ne pourrait être interprétée et il ne pourrait y avoir aucune communication des âmes entre elles. L’auteur dramatique et le comédien doivent éprouver, à l’état sympathique en eux, les émotions représentées, le premier afin d’en contracter le vrai langage, et, le second, afin d’en mieux imaginer l’accent et le geste. Pascal ne nomme nulle part cette aptitude exercée sur les perceptions esthétiques. Il dit