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avec tant d’urbanité étaient traités dans ses jours des grande prospérité. Mais même dans ses pires jours de détresse, il ne put jamais admettre que ses chevaux fussent des objets commerçables, disant que les bons chevaux sont si rares qu’ils ne peuvent pas être appréciés en argent, c’est-à-dire que, comme pour un Raphaël ou un Titien, aucune somme ne peut représenter leur prix réel, pas plus la plus petite que la plus forte. Aussi ne pouvait-il concevoir qu’on eût l’audace de lui proposer de les acheter, ou la sottise d’en proposer un prix quelconque. La duchesse rapporte à ce sujet plusieurs anecdotes curieuses qui se rapportent aux années d’exil, c’est-à-dire à l’époque de sa plus grande gêne.


Un étranger étant venu ici (Anvers) et, voyant les chevaux de Monseigneur, eut grand désir d’en acheter un que Monseigneur aimait plus que tous les autres et qu’il appelait son favori. Un beau genêt d’Espagne, et il supplia l’écuyer de Monseigneur de l’informer de son désir et de lui demander le prix dudit cheval. Monseigneur, lorsqu’il fut informé, commanda à son serviteur de lui amener le marchand s’il revenait, et, l’ordre ayant été exécuté, il lui demanda s’il était bien résolu à acheter son genêt d’Espagne. — Oui, répondit-il, et j’en donnerai un bon prix à Votre Seigneurie. — Je n’en doute pas, répondit Monseigneur, ou autrement vous ne l’auriez pas : mais il faut que vous sachiez que le prix de ce cheval est aujourd’hui de 1,000 livres (25,000 fr.), demain il sera de 2,000, après-demain de 3,000, et ainsi de suite. — Le marchand, comprenant par là que Monseigneur ne voulait se séparer de son cheval à aucun prix, prit congé et s’en alla à ses affaires.

Le duc de Guise, qui était aussi un amateur de bons chevaux, entendant faire de grands éloges d’un grand cheval gris sauteur qu’avait alors Monseigneur, dit au gentilhomme qui le louait et le recommandait que, si Monseigneur voulait vendre ledit cheval, il en donnerait 600 pistoles. Le gentilhomme, connaissant l’humeur de Monseigneur, répondit qu’il était sûr que Monseigneur ne s’en séparerait à aucun prix, et, à cet effet, il envoya une lettre de Paris, mais Monseigneur était si loin de vouloir vendre ce cheval qu’il lui déplut d’apprendre qu’on pouvait lui en offrir un prix quelconque.


Ses chevaux lui rendaient l’affection qu’il leur portait, et la duchesse nous donne à ce sujet de curieux détails : — « J’ai observé positivement et je crois en toute conscience que quelques-uns avaient un amour très particulier pour Monseigneur, car ils semblaient exprimer leur joie par leurs piétinemens et le bruit qu’ils faisaient toutes les fois qu’il entrait dans ses écuries ; ils manœuvraient certainement mieux dans le manège lorsqu’il était