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le fixèrent à leur résidence de Chatsworth, où il vécut dans la plus entière liberté, philosophant à son aise au milieu des nuages de fumée dont il aimait à s’entourer. Il n’est donc pas extraordinaire que nous le trouvions au nombre des intimes de Newcastle, qu’il visita fréquemment en France, où il avait conduit son pupille, le second comte de Devonshire. Quelques années après, il fut donné au futur Charles II comme professeur de mathématiques, et cette circonstance contribua probablement à rendre plus étroites ses relations avec l’ancien gouverneur du prince. Il méditait alors son Léviathan, un des plus étranges livres de philosophie qui aient jamais été écrits, où l’on voit que le christianisme n’est que le simple millénaire, et que les prêtres sont les successeurs des fées dont ils ont hérité les pouvoirs miraculeux. Il ne négligeait pas de prendre à l’occasion l’avis de Newcastle sur les points de détail où il avait des doutes, et la duchesse nous a conservé deux fragmens de ces conversations, dont un sur les sorcières, que Hobbes a transporté dans son livre. Que ne nous en a-t-elle conservé davantage ! nous connaîtrions les vraies opinions de Newcastle sur le gouvernement civil et la religion, et il est probable que nous verrions quelles furent celles même d’un Hobbes modéré, prudent, et sans insolence agressive, c’est-à-dire que nous le découvririons partisan d’un pouvoir civil omnipotent, englobant dans ses attributions le gouvernement des consciences comme tous les autres, mais l’exerçant par délégation et non directement au moyen d’une église fortement encastrée dans l’état de manière à en être une pièce essentielle, et à n’avoir en conséquence d’autres intérêts que ceux du corps dont elle serait partie intégrante.

Les poètes dramatiques abondent dans l’intimité de Newcastle, ce qui n’est pas pour étonner, quand on sait qu’il avait quelques prétentions aux arts du théâtre. Ses deux dernières relations en ce genre furent John Dryden et Shadwell. Il prit Dryden pour collaborateur de plusieurs de ses tentatives dramatiques, Sir Martin Mar-Olf, adaptation de l’Étourdi de Molière, et le Feint Astrologue, adaptation d’une comédie du même nom de Thomas Corneille. Il est difficile de dire quelle part revient exactement au duc dans cette collaboration, et si Dryden y est pour autre chose que les prologues et épilogues dont toutes ses pièces sont invariablement flanquées ; toujours est-il que ce dernier seul en a recueilli le bénéfice, puisqu’il reste devant la postérité l’unique auteur de ces deux pièces qui sont allées grossir la collection passablement volumineuse de ses œuvres dramatiques. Cette collaboration avec Dryden ne l’empêcha pas d’être au nombre des appréciateurs de Shadwell, ennemi déclaré de ce grand satirique, qui lui a fait payer cher son intimité, et dont le talent inégal, mais certain, n’est pas