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ceux qui les approchent une propension invincible à chercher où en est leur fortune, ou si leur faveur se maintiendra. En voici un de Charles qui put faire réfléchir le vieux chef des Cavaliers. Pendant son séjour à Anvers, Newcastle reçut plusieurs fois le prince à sa table, et un jour qu’après le repas il tenait sa partie et que le sort s’obstinait à le favoriser, Charles, moitié rieur, moitié dépité, lui dit brusquement : « Monseigneur, est-ce que vous m’avez invité pour faire de moi votre pigeon[1] ? » Ce qui équivalait à dire : croyez-vous que je sois dupe et que je ne vous connaisse pas pour un tricheur à mon égard ? « Cependant, dit la duchesse avec une sournoiserie pleine de finesse, leurs enjeux n’étaient pas du tout considérables, et la partie n’était que pour passer le temps. » Ce qui signifie, à qui sait bien lire : l’insulte, étant sans prétexte, fut gratuite et calculée.

Nous avons dit que, lorsque le retour de Charles en Angleterre fut chose certaine, Newcastle fut des premiers à aller le féliciter de cet heureux événement ; mais une fois sa révérence tirée, il s’embarqua aussitôt pour l’Angleterre, et rien ne dit mieux que cet empressement à s’éloigner quels étaient leurs rapports réels, car s’il était quelqu’un qui fût désigné pour faire escorte au roi, n’était-ce pas son ancien gouverneur, le premier en date et le plus brillant des défenseurs de la cause royale ? Sa place naturelle, obligée, était tellement dans le vaisseau du roi que son fils, lord Ogle, n’alla pas le chercher ailleurs qu’au point où le roi débarqua et qu’il fut, dit encore la sournoise duchesse, très décontenancé, et quelque chose de plus, lorsque Charles lui dit que son père l’avait précédé en Angleterre. Après l’arrivée de Charles, Newcastle, comme au départ de Hollande, alla saluer le roi, et, cela fait, lui demanda la permission de se retirer dans ses terres pour y mettre en ordre, s’il était possible, ses propriétés ravagées. « Sire, lui dit-il dans une petite allocution dont la froideur est fort apparente, je n’ignore pas que beaucoup croient que je suis mécontent, et il est probable qu’ils disent que je me retire par mécontentement ; mais je prends Dieu à témoin que je ne suis nullement ce qu’ils croient, car j’ai tant de joie de l’heureuse restauration de Votre Majesté que je ne puis songer à m’affliger ou à m’inquiéter de rien de ce qui me concerne. Quelque chose donc qu’il plaise à Votre Majesté de me commander, fût-ce de sacrifier ma vie, je l’exécuterai en toute obéissance, car je n’ai d’autre volonté que le bon plaisir de Votre Majesté. » Que le cœur s’était retiré, et que toute affection était morte, ce petit discours le dit, ce nous semble, avec une suffisante clarté.

  1. Play the rook with me, exactement notre expression de pigeonner, dans le sens de faire une dupe.